Point de vue

3 leviers de services financiers pour les « prochains milliards d’utilisateurs »

mar. 17 juil. 2018

L’utilité des offres de services financiers numériques à la conception pertinente, les informations concernant la manière de tirer profit des services disponibles ainsi que l’infrastructure numérique pour soutenir l’adoption facile et étendue, sont autant de facteurs permettant d’optimiser la véritable inclusion financière sur les marchés émergents.

Jolaade Alao

Utilisée au départ par Google, l’expression « prochains milliards d’utilisateurs » désigne le nombre croissant d’utilisateurs d’internet sur les marchés émergents qui se connectent presque exclusivement via leur téléphone mobile. Par conséquent, ces utilisations et comportements numériques sont différents de ceux des utilisateurs traditionnels d’internet des pays matures, et ils s’attendent donc à une expérience complètement différente. Ces spécificités s’appliquent alors également à la conception de services financiers, considérés comme essentiels à l’inclusion financière et au développement économique.

Les services financiers mobiles sont en plein essor sur les marchés émergents mais ne répondent pas encore pleinement aux besoins de leurs utilisateurs mobiles

Le téléphone mobile est déjà le principal portail par le biais duquel de nombreux citoyens des pays émergents accèdent à des services primordiaux mais pourtant hors de portée, tels que les soins médicaux et, surtout, les services financiers. Les services financiers numériques frontaux, tels que l’argent mobile, la gestion bancaire USSD, les chatbots de paiement, les processeurs de paiement ainsi que les applications de gestion bancaire numérique, de paiements de commerçants, d’épargne et de crédit sont de plus en plus populaires sur les marchés émergents aujourd’hui. D’après la GSMA, plus de 40 % de la population adulte du Zimbabwe, du Ghana, d’Ouganda, du Paraguay, de la Namibie et du Gabon utilisent désormais des solutions d’argent mobile pour :

  • envoyer et recevoir de l’argent,
  • payer pour des biens et services,
  • et, dans certains cas, accéder à des solutions de crédit et d’épargne.

Pourtant, malgré une croissance sans précédent des produits financiers numériques, celle du nombre d’utilisateurs actifs reste timide, avec près de 21 % seulement sur les 556 millions de comptes d’argent mobile répertoriés dans le monde étant actifs de manière mensuelle (McCaffrey & Schiff, 2017) : cela reflète la différence entre les solutions financières numériques existantes et les besoins ainsi que les aspirations pratiques de la population de masse en la matière.

La conception doit prendre en compte la manière dont les utilisateurs acquièrent et dépensent leur argent

Tout d’abord, le fait de prendre en compte la relation des individus avec l’argent est intrinsèquement lié à la création de solutions pertinentes. Ces dernières doivent représenter non pas de simples produits financiers, mais de véritables outils que les membres du public peuvent utiliser de manière intuitive pour réaliser leurs objectifs et leurs rêves.

Il est primordial de comprendre comment, dans chaque pays, la population de jeunes, cibles principales des services numériques, envisage le fait de générer, de dépenser, d’épargner et potentiellement d’investir de l’argent. Outre une expérience mobile intuitive, les solutions financières doivent s’adapter aux structures de commerce existantes, tels que le commerce de rue, la gestion informelle d’argent ainsi que les systèmes d’épargne et de crédit locaux et traditionnels. D’autres tendances de modes de vie devraient également être prises en compte lors de la conception de produits financiers numériques, visant les prochains milliards d’utilisateurs :

  • les revenus et dépenses imprévus,
  • les multiples sources de revenus,
  • les micro-dépenses fréquentes,
  • une préférence prononcée pour l’argent liquide du fait de sa simplicité et de son anonymat.

MaTontine* est un exemple de numérisation d’une forme de gestion bancaire vieille d’un siècle. Cette plateforme offre aux populations n’ayant pas ou peu accès aux services bancaires des solutions d’épargne et de prêt. L’esprit collectif de la collecte et du partage d’argent est préservé. De plus, la technologie permet à la plateforme d’attirer une vaste communauté, bien plus étendue qu’une tontine traditionnelle au sein d’une famille ou d’un village, ce qui apporte son lot d’avantages, tels que l’automatisation de la distribution d’argent, le pouvoir de négociation (pour les prêts), le pouvoir d’achat (sur appareils), l’enquête de solvabilité, etc.

L’interopérabilité est primordiale

Pour de nombreux utilisateurs, l’aspect pratique des services financiers numérique est extrêmement limité par l’incapacité à effectuer des transactions entre différentes plateformes. À l’heure actuelle, le rythme de croissance de l’interopérabilité entre les prestataires de services financiers numériques est bien trop faible. Aujourd’hui, les transactions entre les banques et les systèmes de carte de crédit/débit sont facilitées par les normes et protocoles communs à l’échelle mondiale qui les régissent. Cependant, les transferts entre plateformes de services d’argent mobile ne sont pour l’instant possibles qu’à travers des accords bi ou multilatéraux entre les prestataires. Par conséquent, les services tels que les paiements de commerçants, les versements internationaux et virements entre utilisateurs de différents prestataires de services numériques sont généralement impossibles.

Pour obtenir une meilleure interopérabilité entre plateformes et inclusion financière, la collaboration des prestataires de services financiers numériques, des banques (centrales), des régulateurs et des organisations à but non lucratif concernées est primordiale. Pour cela, la GSMA et, plus récemment, la Fondation Bill-et-Melinda-Gates (BMGF) par l’intermédiaire de son initiative pour l’inclusion financière ont toutes deux publié des logiciels open-source et/ou des API ouvertes visant à accélérer l’interopérabilité entre les prestataires de services. Par conséquent, les opérateurs d’argent mobile peuvent désormais mettre en œuvre la norme d’API d’argent mobile de la GSMA à l’échelle nationale ou internationale. Les prestataires de services numériques peuvent, quant à eux, exploiter la plateforme open-source de la BMGF, Mojaloop, pour accélérer la création et le déploiement de plateformes interopérables.

La blockchain peut aider à la création d’une expérience utilisateur plus simple et efficace

Enfin, les concepteurs de services doivent envisager l’ensemble des technologies pouvant améliorer de manière significative l’expérience utilisateur et stimuler une adoption accrue des services financiers numériques. Les technologies, telles que la blockchain, en font partie et semblent très prometteuses pour des opérations back-end simplifiée, unifiée et interopérables.

La conformité, y compris aux réglementations relatives à KYC/AML/CFT*, le traitement des transactions, ainsi que le rapprochement et le règlement des ordres de paiements locaux, inter-devises ou transfrontaliers, est un domaine qu’il est possible d’améliorer ou de développer, grâce aux principes de la technologie de blockchain. Le système open-source de Mojaloop, par exemple, est basé sur le protocole inter-portefeuille, un système alimenté par la blockchain qui facilite le traitement des transactions en temps réel entre différentes plateformes, le rapprochement de grand livre et l’entente entre les prestataires.

En conclusion, l’utilité des offres de services financiers numériques à la conception pertinente, les informations concernant la manière de tirer profit des services disponibles ainsi que l’infrastructure numérique pour soutenir l’adoption facile et étendue, sont autant de facteurs permettant d’optimiser la véritable inclusion financière sur les marchés émergents.

 

* Tontine : un fond auquel contribue un groupe d’individus. La somme collectée est ensuite prêtée à chaque membre à tour de rôle ou au besoin (pour lancer une entreprise, faire face à une situation financière temporairement difficile, etc.).

 

* KYC (identification du client, en anglais Know Your Client), AML (lutte contre le blanchiment d’argent, en anglais Anti-Money Laundering) et CFT (lutte contre le financement du terrorisme, en anglais Combating the Financing of Terrorism) : ensemble de procédures, lois et réglementations conçues pour stopper les pratiques de génération de revenus via des actes illégaux et la facilitation du terrorisme. Cela implique que tout prestataire de services financiers doit :

  • savoir qui sont ses clients et collecter leurs informations formelles d’identification ;
  • comprendre les transactions normales et attendues de ses clients ;
  • tenir les registres et rédiger les rapports nécessaires concernant ses clients. (Source : Wikipédia)

Alao Jolaade

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