Point de vue

A l’ère de la pandémie, le mobile money au service de l’urgence sanitaire et sociale

lun. 25 mai 2020

Depuis l’essor des paiements mobiles en Afrique ou en Asie, les bénéfices de la digitalisation des paiements sont bien connus. Ils favorisent l’inclusion financière des populations les plus vulnérables, améliorent la sécurité et la rapidité des paiements, ou offrent une expérience utilisateur nettement améliorée. La crise épidémique du Covid 19 met en lumière le rôle majeur que les services financiers digitaux peuvent également jouer dans les situations d’urgence.

En Europe, les paiements digitaux se sont révélés d’une grande efficacité pour maintenir, à distance, l’activité de certaines entreprises ou de certains professionnels durant l’épidémie. C’est par exemple le cas des restaurants, de certains commerces ou encore des professions médicales. Comme le soutenait la Fintech française Lydia, spécialisée dans le paiement mobile, « se faire payer à distance est indispensable pour des raisons sanitaires, mais aussi pour que ces activités dont nous et eux avons tant besoin ne s’arrêtent pas ». La digitalisation des paiements s’est également montrée capitale dans le maintien du commerce physique, grâce au paiement sans contact qui permet d’éviter les gestes de paiement à risque que sont la manipulation d’espèces ou la saisie du code secret sur les claviers des terminaux de paiement. Dès la fin mars, une vingtaine de pays européens annonçaient d’ailleurs le relèvement du plafond des paiements sans contact à 50 euros.

Le mobile money « réquisitionné » pour faire face à l’urgence sanitaire et sociale

Dans les pays émergents, les services financiers digitaux tels que le mobile money jouent un rôle capital. En se substituant aux paiements en espèces, ils contribuent directement à lutter contre la propagation de l’épidémie. En outre ils permettent d’atténuer les effets secondaires de la distanciation sociale ou du confinement : ils garantissent le maintien des flux financiers malgré l’impossibilité de se déplacer et de se rencontrer. Ils constituent ainsi des instruments critiques dans le maintien de l’activité économique mais également sur le plan social, dans le contexte de sociétés où les dynamiques de soutien financier familial ou communautaire restent importantes.

En Afrique Sub-Saharienne, les banques centrales ont rapidement tiré ce constat. En adoptant des mesures exceptionnelles visant à encourager l’usage du mobile money, ces institutions se sont retrouvées au cœur de la lutte contre le Covid 19 et de la recherche de mesures innovantes pour enrayer l’épidémie. Fin avril 2020, plus de 20 pays appliquaient des mesures adaptant temporairement le cadre réglementaire du mobile money, soulignant ainsi le fort consensus autour du rôle clé que peuvent jouer ces services.

Ces mesures sont principalement de deux types :

  • la gratuité totale ou partielle des frais d’usage des services de paiement : notamment via la suppression des frais de paiement de factures d’eau et d’électricité, ou la gratuité des transferts d’argent qui concerne plus d’une douzaine de pays en Afrique (ex. : R. D. Congo, Ouganda, Kenya)
  • l’assouplissement des conditions d’accès et d’usage de ces services : par exemple l’atténuation des exigences relatives à l’ouverture de compte (ex. : Ghana, pays de l’Union Monétaire Ouest-Africaine) ou le relèvement des plafonds de transactions (ex. : Rwanda, Liberia).

Les services de mobile money, font ainsi l’objet de mesures dérogatoires imposant notamment aux opérateurs de ces services un effort, une forme de « réquisition » afin de répondre aux besoins urgents et exceptionnels nés de l’épidémie. Dans un rôle où elles ne sont pas naturellement attendues, les banques centrales se retrouvent quant à elles en première ligne de la lutte contre cette épidémie, protagonistes de l’action d’urgence sanitaire et sociale.

Les paiements digitaux, dispositif d’urgence d’une grande efficacité en temps de crise sanitaire

En parallèle, le mobile money constitue un outil privilégié pour les gouvernements gérant l’urgence sanitaire. Lors d’une précédente crise sanitaire, l’épidémie d’Ebola en Sierra Leone en 2015, les experts avaient déjà  relevé les vertus des services financiers digitaux : ils permettaient de déployer et de maintenir sur le terrain une équipe sanitaire, en réalisant les paiements nécessaires à son activité.

Les autorités redécouvrent aujourd’hui la puissance des services financiers mobiles dans la mise en place de dispositifs d’urgence. La rapidité d’exécution, la réduction des coûts de « delivery » ou la possibilité d’identifier précisément les bénéficiaires des aides comptent parmi les bénéfices significatifs qu’offre le mobile money dans des situations de crise.

Au point que certaines autorités considèrent les paiements d’urgence plus efficaces qu’une aide alimentaire : en Côte d’Ivoire, l’Etat a annoncé le 22 avril 2020 le versement d’un subside d’urgence, réglé via mobile money auprès de 180 000 foyers environ. Cette option a notamment été préférée à la distribution de ressources alimentaires afin « de limiter au maximum la distribution physique des vivres et non vivres et d’éviter des attroupements qui sont des vecteurs de propagation de la maladie. » En Zambie, des agences des Nations Unies œuvrent également à digitaliser le versement d’allocations exceptionnelles. Afin de compenser la perte de revenus liée au Covid 19, elles ambitionnent de verser une aide à plus de 780 000 foyers vulnérables pendant 6 mois.

Ainsi, dans un contexte où de plus en plus d’Etats africains se tournaient déjà vers la digitalisation des paiements gouvernementaux (impôts, frais de scolarité, pensions de retraite etc.), l’épidémie confirme l’intérêt de ce type de démarches.

 

Sources : analyses Sofrecom, GSMA, UNCDF, Le Monde, Abidjan.net

Riad Douimia

IT consultant, projets digitaux gouvernement