La couverture des zones rurales est un challenge autant pour les opérateurs que pour les régulateurs et les gouvernements partout dans le monde. La situation est d’autant plus complexe en Afrique pour des raisons géographiques, de sécurité et de modèle économique. Les zones rurales sont généralement habitées par les populations les plus pauvres, vivant en dessous du revenu moyen par habitant du pays. L’accès Internet fixe est inexistant et l’accès mobile, quand il existe peut représenter jusqu’à 30% de leur revenu.
Jusqu’il y a 5 ans les opérateurs se trouvaient face à une équation difficile à résoudre : augmenter le nombre de clients en couvrant des zones à très basse densité et très bas revenus tout en trouvant un retour sur investissement « cohérent » avec les standards demandés par les banques commerciales.
Les déploiements de réseaux mobiles dans les zones rurales sont contraints par le manque d’infrastructures (routes et électricité). Ainsi les opérateurs déployaient sous une logique d’économie par site (chaque site doit s’équilibrer économiquement) ce qui ajoute d’importants coûts de maintenance et d’opération aux coûts déjà élevés de construction et l’équation économique devient très difficile à résoudre. Dans ce contexte, tous les acteurs de l’écosystème se confrontent au défi de déployer des sites au prix le plus bas possible.
Par ailleurs, peu ou pas de Fonds de service Universel étaient utilisés par les gouvernements pour soutenir ces déploiements. Le résultat a été, pendant longtemps, le manque cuisant d’infrastructures dans les zones rurales, mais aussi périurbaines pauvres de presque tous les pays Africains.
L’arrivée de nouveaux acteurs révolutionne la chaine de valeur de l’accès
Depuis quelques années les Towerco ont lancé un modèle de partage dans lequel ils restent maitres des infrastructures passives et assument la responsabilité des déploiements en louant ces infrastructures aux opérateurs. Dans le sillage de ce changement de modèle, sont apparu de nouveaux acteurs qui ont fortement changé le modèle d’affaires en allégeant la pression financière sur les opérateurs.
Les NaasCO (Network as a service companies)
Les NaasCo fournissent des services d’accès de bout en bout qu’ils sous-traitent sous différentes formes aux opérateurs. Le Naasco déploie les réseaux d’accès, intègre le RAN et trouve la solution énergétique. Il s’occupe souvent aussi de l’opération et la sécurité des sites. Le grand changement de modèle vient du fait que ces nouvelles entreprises contractent les emprunts auprès de bailleurs de Fonds ou venture capital, qu’ils garantissent par l’assurance d’avoir un client opérateur. Ainsi, les opérateurs diminuent leur risque financier tout en s’assurant d’étendre leur réseau. Dans les formes les plus étendues, le contrat reliant le NaasCO au MNO inclut une part d’amortissement d’infrastructure. Ainsi, à la fin du contrat, soit le modèle est renouvelé, soit l’infrastructure passe aux mains de l’opérateur qui l’a payé sous une base mensuelle.
Les NaasCO peuvent résoudre l’équation économique jusque-là difficile pour les opérateurs classiques parce que ce sont des entreprises plus petites avec des coûts fixes limités et ils développent leur propre solution RAN, plus légère que les solutions habituelles, moins consommatrice d’énergie.
Les nouvelles solutions pour l’énergie
L’accès à l’énergie est la clé de voute dans les déploiements en Afrique en général et en zone mal desservie en particulier. Le coût de l’énergie impacte de manière très importante le modèle économique des déploiements, au coût traditionnel des installations et du carburant s’additionnent un coût d’opération élevé, lié à la sécurité.
Les zones mal desservies (off-grid) ne sont pas couvertes par l’opérateur d’énergie national et nécessitent la mise en place de solutions spécifiques. Les nouvelles compagnies de l’énergie (ESCo) installent des générateurs au pied des tours, assument le réapprovisionnement en fuel et la maintenance.
Dans ces zones mal desservies, la solution traditionnelle des générateurs à fuel n’est pas adaptée, le manque de routes fait qu’il est extrêmement couteux et complexe maintenir des générateurs. Les ESCo déploient et installent des panneaux solaires au pied des tours pour les alimenter en énergie. Cette solution répond aussi aux nouveaux objectifs « green » des opérateurs.
Le modèle économique des ESCo est semblable à celui des NaaSCo, les opérateurs d’électricité contractent des prêts pour le déploiement de leur solution, utilisant comme garantie le contrat avec le MNO. Différents modèles de rémunération existent qui combinent le leasing des infrastructures et le partage des revenus. Le plus répandu est le modèle selon lequel l’entreprise d’énergie facture un montant fixe pour le leasing des infrastructures.
Les ESco disposent, pour la plupart d’une branche financière leur permettant de préparer et présenter leur projet aux investisseurs. Depuis peu, les ESCo commencent à évoluer vers une position plus complète de NaaSCO, très fortement soutenus par leurs opérateurs-clients, qui cherchent à avoir un interlocuteur unique pour toute la solution rurale.
L’évolution de l’approche de la part des opérateurs classiques
Tant que les opérateurs évaluaient le bénéfice des déploiements ruraux sur la base de chaque tour l’équation était quasi impossible à résoudre, à l’allègement des Capex et Opex permis par la contractualisation avec de nouveaux acteurs s’associe une nouvelle approche des bénéfices de ces déploiements. Dans certains cas, l’opérateur ne cherche qu’à équilibrer ses comptes sur les zones rurales considérant que le bénéfice indirect lui vient du fait de proposer une meilleure itinérance sur tout son territoire. Dans d’autres cas, l’ajout de clients, même à un ARPU bas, permet à l’opérateur d’augmenter ses revenus globaux (ne considérant plus les revenus par zone mais de manière globale). Finalement, le recours aux énergies vertes dans les zones off-grid, permet à l’opérateur de s’acquitter de ses engagements environnementaux.
Innover dans le déploiement des réseaux-core
Bien que l’accès soit le segment le plus cher à déployer et le plus complexe en termes d’économie d’échelle, les zones rurales souffrent également de mauvaise connectivité au réseau core.
Ces 10 dernières années ont vu d’importants déploiements des backbones nationaux, souvent financés, voir subventionnés par les banques de développement. Nombre de ces réseaux manquent de ramifications permettant aux villes moyennes et encore plus souvent aux villages ruraux de se connecter au backbone national.
La rentabilité difficile de ces déploiements vers les zones rurales fait que souvent des solutions limitées en capacité et scalabilité soient installées.
De la même manière qu’au niveau de l’accès, les opérateurs cherchent des solutions plus rentables dans le déploiement des réseaux core. Ces solutions liées au backbone sont souvent portées par des opérateurs de gros spécialisés dans les réseaux core au niveau national et même régional (reliant plusieurs pays), tels que Liquid, SES.
L’innovation porte sur plusieurs aspects. Dans le déploiement, les opérateurs cherchent des solutions moins chères à déployer telles que l’aérien ou l’utilisation des cours d’eau (Liquid déploie sous les rivières et les lacs, par exemple).
Du point de vue de la technologie, la plupart des opérateurs a abandonné le graal du « tout fibre » pour intégrer des solutions « mesh » combinant différentes technologies et en particulier les nouvelles offres satellites, permettant des liaisons multipoint et donc une plus ample couverture.
Trouver les financements
Les projets de couverture de zones rurales, se heurtent également à la difficulté à trouver des financements. Peu de gouvernements financent directement ces projets, et les opérateurs, comme expliqué plus haut, cherchent à limiter le risque financier, en déplaçant ce risque vers leurs fournisseurs.
Les Fonds de service Universel, pour l’instant, sont peu ou pas utilisés dans ces cas, et les bailleurs de Fonds subventionnent de moins en moins de Fonds de Service universel au profit de projets concrets où différents acteurs sont sollicités pour le financement (la plupart des banques de développement, ne financent pas seules des projets mais demandent la présence d’autres partenaires).
Ainsi, quelques grandes tendances apparaissent dans les principes de financement, appliqués ces dernières années :
- Des financements de projets concrets
- La présence de consortium de financeurs
- La demande d’un engagement de l’état quand ces déploiements sont faits dans le cadre d’une « market failure », c’est-à-dire quand le marché ne peut pas, de par lui-même couvrir la demande, ou qu’il existe une désertification des services
Conclusion
La couverture des zones rurales a souvent été victime, en sus des problématiques de technologie et de demande, d’ambitions trop difficiles à réaliser. Aujourd’hui, une nouvelle vision du marché, qui prend fortement en compte le besoin de créer la demande, a mené les acteurs de l’écosystème à avoir une vision plus flexible de cette problématique.
« Atteindre d’abord, upgrader après » est le nouveau mot d’ordre. Puisque les usages ne peuvent s’accroitre que si l’offre d’accès est disponible, la plupart des acteurs vise d’abord à atteindre les populations non couvertes, même avec des technologies moins efficaces (comme la 2G dans certains déploiements d’accès) et une fois les usages installés, et la demande de capacité augmenté de fait des usages, améliorer l’offre vers des technologies plus modernes.
Cette philosophie concerne aussi les réseaux de transport et collecte, relier les communes à l’écosystème est la première priorité. Souvent les technologies utilisées sont le satellite et le réseau radio (microwave).
Quant aux financeurs, surtout dans le cadre des banques de développement, les bénéfices sont évalués non seulement du point de vue des revenus mais aussi du point de vue social et environnemental, ce qui permet à certains projets, avec une rentabilité complexe à court terme, de trouver leur équilibre à moyen-long terme.