Si la dématérialisation de l’identification des populations et l’accélération de la e-administration contribuent à l’inclusion d’une majorité de citoyens, elles en excluent également une partie. En effet, les conflits qui se multiplient ont encore un peu plus marginalisé les démunis illettrés qui vivent éloignés du numérique et dont le nombre a augmenté.
La e-administration se déploie depuis 25 ans. Partout dans le monde, elle conduit les Etats à mettre en oeuvre des Systèmes Nationaux d’Identification Numérique (IDN). Dans les pays émergents, l’IDN contribue à l’inclusion sociale et financière de populations vulnérables. Dans les pays matures, elle est aussi un bouclier contre la fraude. Néanmoins dans un contexte de crises diversifiées, l’accélération de la transformation numérique peut-elle se poursuivre au même rythme et ne risque-t-elle pas d’être un frein à l’inclusion ?
De la e-administration à la transformation numérique
A la fin des années 1990 la e-administration a progressivement émergé. Elle a utilisé les technologies de l’information pour offrir des services publics plus performants, accroître la transparence administrative, réduire les coûts ainsi que la dette publique. Avec l’avènement de la révolution numérique, le terme de « transformation numérique » s’est imposé. Cette transformation est devenue un axe central de la politique de réforme et de modernisation des Etats pour fournir des services numériques innovants, inclusifs et durables. Elle se déploie dans tous les services publics rendus aux citoyens, aux entreprises et aux agences gouvernementales en promouvant de nouveaux modèles socio-économiques. La pandémie de la COVID-19 a définitivement accéléré cette transition : le numérique a vocation à fournir à tous des services électroniques accessibles 24h/24, en respectant au mieux la devise des Nations Unies « Ne laisser personne de côté ».
L’IDN un programme structurant de la e-transformation des Etats
En 2022, 850 millions d’individus, localisés majoritairement en Afrique et en Asie, vivaient encore sans preuve d’identité. Un individu sans identité n’existe pas. Il est « invisible ». Cette situation empêche de nombreuses populations d’accéder aux services de première nécessité: les avantages sociaux, l’éducation, l’emploi formel, la justice, les services financiers, le vote…. La mise en oeuvre de Systèmes Nationaux d’IdentificationNumérique la solution pour remédier à l’absence de documents d’état civil. C’est pourquoi l’IDN structure la transformation numérique des Etats partout dans le monde. Cependant, la mise en place de solutions irréfutables d’identification et d’authentification n’est pas simple, notamment lorsqu’elle s’appuie sur des techniques de biométrie. Le processus et les solutions d’enrôlement nécessitent un cadre juridique adapté et, en particulier, la protection des données, des compétences pour la mise en oeuvre et l’exploitation quotidienne des plateformes technologiques garantissant la sécurité et l’interopérabilité de la solution. Mais quelles que soient les difficultés techniques, politiques, ou économiques auxquelles se heurtent les pays, tous les gouvernements envisagent l’IDN comme un facteur de développement économique et d’inclusion sociale, citoyenne et financière.
Un puissant levier d’inclusion dans les pays émergents
Dans les pays émergents, l’initiative ID4D de la Banque mondiale aide les gouvernements à mettre en place des systèmes d’identification plus robustes et inclusifs grâce à des analyses, des évaluations et des financements. Plusieurs programmes se déploient ainsi sous l’égide de l’ONU, en particulier en Afrique subsaharienne. Ils changent radicalement la vie des populations vulnérables. Un exemple : au Bangladesh un programme d’inclusion financière a permis à plusieurs catégories de populations de percevoir des allocations sociales dont ils étaient éloignés : la population rurale, les personnes âgées, les femmes veuves abandonnées et démunies, les personnes handicapées financièrement insolvables. Il suffit, désormais aux bénéficiaires, 12 millions de citoyens bangladais, de se rendre dans leur centre informatique de proximité et de s’identifier par biométrie, avec l’aide d’un agent local, pour encaisser leur allocation.
Trois conditions sont nécessaires et obligatoires pour garantir la réussite d’un tel programme :
- La connectivité pour accéder au service électronique.
- L’identification unique (biométrie) pour identifier et authentifier le bénéficiaire.
- L’accompagnement humain pour guider des individus qui vivent généralement à l’écart du numérique, suivant une approche de « transformation hybride » combinant le numérique et l’humain.
Un bouclier contre la fraude dans les pays matures
En Europe plusieurs pays ont mis en place une stratégie d’IDN : la France dès 2016, la Belgique, la Suède, le Danemark, l’Estonie, l’Italie… L’entrée en vigueur du règlement européen eIDAS devrait fédérer ces différents dispositifs, tandis que la création d’un portefeuille d’IDN paneuropéen permettra aux citoyens de l’UE de s’identifier et de s’authentifier en ligne sans avoir à recourir à des fournisseurs commerciaux. L’ensemble de leurs données privées seront regroupées dans un outil géré et contrôlé par les institutions européennes. Tout en réduisant les coûts et en facilitant l’accès des citoyens aux services numériques, cette démarche est un rempart contre la fraude. L’IDN qui remplace les documents d’identité papier par une application informatique, permet de lutter contre la fraude documentaire, l’usurpation d’identité et la cybercriminalité. Elle sécurise les échanges, la protection des données sur internet et l’accès aux services de l’Etat ainsi qu’à ceux du secteur privé : services bancaires et financiers, connexion à des applications de santé, inscription à un réseau social… . Lorsque la solution est robuste et performante, elle est un levier de confiance des utilisateurs dans les transactions électroniques.
Néanmoins, des risques accrus d’exclusion
Si la dématérialisation de l’identification des populations et l’accélération de la e-administration contribuent à l’inclusion d’une majorité de citoyens, elles en excluent également une partie. En effet, la crise sanitaire et les guerres qui se multiplient ont encore un peu plus marginalisé les démunis illettrés qui vivent éloignés du numérique et dont le nombre a augmenté.
- Avec l’urgence climatique, la polarisation politique et la remise en cause du multilatéralisme, la poursuite des conflits et les déplacements forcés, le nombre de personnes vivant dans la pauvreté a augmenté en 2020 pour la première fois depuis 1998 passant d’environ 119 à 124 millions. Les inégalités se creusent et le contrat social traditionnel ne fonctionne plus pour beaucoup.
- La situation des jeunes âgés de 15 à 24 ans est également préoccupante. Ils sont 1,8 milliard dans le monde. Près de 90% vivent dans des pays en développement. Environ 267 millions d’entre eux ne sont ni scolarisés, ni employés, ni en formation.
- L’écart entre les sexes est une autre réalité. L’enquête 2022 des Nations Unies sur l’EGouvernement montre que dans tous les services sectoriels, les femmes sont de 30% à 50% moins susceptibles que les hommes d’utiliser internet pour participer à la vie publique.
Bien que l’IDN soit un levier d’inclusion qui fonctionne dans de nombreux Etats, le constat global est mitigé. Pour ne laisser personne de côté, embarquer l’ensemble des individus quels que soient leur sexe, leur âge, leurs capacités, leur niveau de revenus, et combler les fossés numériques que les inégalités socio-économiques creusent toujours plus, il reste beaucoup à faire dans tous les domaines: poursuite de la construction des autoroutes de l’information, déploiement de solutions technologiques de confiance, développement des compétences, lutte contre la discrimination, accompagnement humain.