Nous passons déjà une grande partie de nos loisirs sur les écrans.
Une étude (Digital 2024 : Global Overview Report, 18-64 ans) estime le temps d’écran internet à 5h17 par jour pour la France, sous la moyenne mondiale (6h40), sachant que le record de 9h21 est détenu par l’Afrique du Sud. La moitié du temps internet est passé sur smartphone. Et globalement, la moitié du temps d’écran total (en incluant la TV) est consacrée à la TV ou à la vidéo. Mais ces chiffres varient avec les tranches d’âge, les plus jeunes étant beaucoup plus connectés que leurs aînés (ce qui est en partie une explication de la différence entre l’Afrique du Sud et la France).
Pour mettre ces durées en perspective, les temps consacrés aux loisirs, à la sociabilité et aux tâches domestiques étaient de 8h06 en 2010 (la prochaine étude sur le temps libre de l’INSEE est prévue pour 2026). Finalement, 60 % du temps de loisir est passé sur les écrans (étude réalisée par Vertigo Search, 2022), ce qui inclut aussi la télévision hertzienne. La durée du travail et les autres activités physiologiques étant globalement constantes, nous approchons sans doute une asymptote du temps digital personnel.
La définition des vidéos est le facteur qui a le plus d’impact sur le trafic
Pour comprendre l’impact des usages sur la consommation, il faut savoir qu’une même application peut avoir des effets très différents en fonction de la qualité utilisée :
- Une vidéo en streaming représente entre 500 Mo/h (SD) et 10 Go/h (en 4K).
- Un échange sur réseaux sociaux prend entre 100 Mo/h et 2 Go/h suivant la quantité de vidéo.
- D’autres activités comme le web Browsing, le gaming ou la visioconférence représentent environ 200 Mo/h.
Les différentes études (comme le 2024 Global Internet Phenomena Report - Sandvine) s’accordent ainsi sur le fait que la vidéo sous forme de streaming représente la grande majorité du trafic (plus de 80 %). En fin de compte, la définition de la vidéo liée à son terminal de consommation va influencer en premier lieu l’évolution des volumes de données échangées.
L’impact d’autres usages comme le cloud gaming ou la VR/XR est encore trop hypothétique pour peser significativement sur les estimations. La Réalité Virtuelle tout comme le gaming ont en effet besoin d’énormément de données pour offrir des mondes à la fois immersifs et profonds. Aujourd’hui beaucoup d’univers virtuels doivent être encore téléchargés, et les capacités de stockage des devices (casques, consoles) limitent la richesse des expériences.
La croissance du trafic est alimentée par la demande mais aussi déterminée par la performance des réseaux d’accès
La consommation de données fixes par utilisateur (par foyer) est très supérieure à la consommation mobile (par individu), principalement en raison des appareils utilisés et du contexte d'utilisation. Au domicile, on consomme sur des écrans plus grands qui permettent le streaming vidéo haute résolution : téléviseurs, tablettes et ordinateurs portables. Les utilisateurs ont également tendance à se livrer à ces activités pendant de plus longues périodes à la maison. De plus, les connexions fixes servent aussi de hub aux mobiles. On estime qu’entre 50 % et 80 % des données issues des téléphones mobiles sont en fait transférées via Wi-Fi sur les réseaux fixes.
En France, la consommation d’un accès fixe (en sortie d’un accès fibre) est de 10 fois supérieure à celle d’un accès mobile (tel que comptabilisé par un opérateur sur son réseau GSM) : 15 Go/mois/utilisateur sur mobile contre plus de 200 Go/mois par accès fixe.
Les moyennes présentées ci-dessus présentent de fortes disparités suivant les tranches d’âge. Ainsi, en France, les 15-24 ans passent 3h58 sur leur mobile contre 1h32 pour les 65 ans et plus. Une des différences entre les moyennes des temps passés sur écran par pays s’explique aussi par la démographie.
La performance des réseaux exerce également une influence sur l’usage : chaque génération mobile (4G puis 5G) offre plus de performances, ce qui à son tour stimule un usage plus intensif. Les accès 5G dans le monde en 2024 avaient ainsi en moyenne une consommation de 20 Go/mois/utilisateur contre 8 Go/mois/utilisateur sur les autres générations.
De la même façon, le passage de l’ADSL au FTTH s’est accompagné d’un décuplement des débits: la vitesse moyenne de connexion en France est ainsi passée de 13,5 Mbps en 2017 (18 % de fibre) à 176,7 Mbps en 2024 (67 % de fibre).
Enfin, le prix est également un facteur. Le coût du Go mobile a par exemple été divisé par 3 en 5 ans au niveau global et atteint en 2024 (moyenne non pondérée) 2,61 $/Go. Mais la France, qui a un des prix les plus bas au monde à 0,18 $/Go, n’est pas le pays qui a la plus grande consommation par utilisateur.
Les perspectives de croissance sont aussi liées à la pyramide des âges
Selon l’IUT, le trafic de l’internet mondial s’élevait en 2023 à 1074 exabytes pour le mobile et 5100 exabytes pour le fixe – soit 6174 milliards de téraoctets (1 To ~ un disque dur). Les projections conduisent à un doublement du trafic fixe et un triplement du trafic mobile d’ici 2030. La Chine et l’Inde représentent 50 % du trafic mobile (la France 1 %), la Chine et les États-Unis 50 % du trafic fixe (la France 3 %).
Plusieurs dynamiques alimentent cette croissance :
- Une dynamique d’équipements dans des pays en voie de développement où le smartphone n’est pas encore majoritaire.
- Une dynamique d’amélioration de la performance des réseaux avec en particulier la 5G, qui reste encore largement à déployer. Celle-ci représentera en 2028 75 % du trafic (contre 15 % en 2023). Les accès haut débit devraient croître de 20 %, passant d’environ 1500 millions en 2023 à 1700 millions en 2028. À cette date, le FTTH représentera 77 % des connexions (+8 points).
- L’émulation d’accès fixe sur technologie mobile 5G (FWA) aura un impact important : le constructeur Ericsson l’estime à 35 % du trafic mobile en 2030. Près de 50 millions d’accès pourraient être produits d’ici 2028, ayant le poids équivalent de 500 millions de téléphones mobiles.
- Le troisième volet, lié à l’évolution des usages dans les pays développés, est plus compliqué à appréhender. D’un côté, on semble arriver à une asymptote du temps qu’il est possible de passer sur les écrans, avec une croissance surtout alimentée par les jeunes générations. D’autre part, la multiplication des écrans au foyer semble aussi atteindre des limites, et de plus en plus d’équipements ne sont pas utilisés (même si l’on a couramment un même temps de visionnage sur plusieurs écrans). Ce sera le taux d’équipement des télévisions haute définition 4K et plus qui sera moteur de la croissance fixe.
Les fondamentaux de l’infrastructure pour absorber le trafic sont déjà là
Pour servir les 5,4 milliards de possesseurs de téléphones mobiles (IUT 2024), on estime que l’infrastructure mobile est constituée entre 8 et 10 millions de sites qui accueillent les antennes et/ou stations de base desservant de 1000 (4G) à plusieurs milliers d’abonnés (5G). Ce sont pour la plupart les sites de la 4G qui serviront à la 5G et ainsi absorberont le trafic. Certains sites devront être renforcés par de la fibre.
L’accès fixe en fibre FTTH est relié à des centaines de millions de terminaux optiques pouvant desservir par ramification typiquement 32 abonnés. La construction des futurs accès fibres sera obtenue en augmentant le taux de remplissage des arbres optiques (en Europe, seulement 50 % des prises installées sont utilisées) mais aussi par la construction de nouvelles infrastructures.
Pour mettre en perspective le new space, les satellites à orbite basse (comme Starlink), à un même moment, ne couvrent que 39 % de la surface totale (les terres émergées) dont seulement 15 % sont habitables. Ce sont surtout celles-ci qui sont couvertes par de la fibre et des antennes. Le new space ne contribuera que marginalement à absorber la croissance du trafic.
Conclusion
L’infrastructure à construire pour absorber le trafic des 5-10 prochaines années apparaît en relative continuité avec l’existant, avec une projection d’usage assez conservatrice autour de la vidéo. À cet horizon, certains pays à très forte consommation par abonné pourraient même voir leur croissance s’interrompre. Certains annonceront-ils alors la fin de l’histoire des réseaux ?
Mais d’autres orages de données s’annoncent. D’une part, l’IA générative (services comme chat GPT) devient de plus en plus multimodale, et les requêtes échangées ne concernent plus que du texte mais de la voix, des images et de la vidéo. De plus, ces informations seront échangées par des agents informatiques (agentic AI), qui se substitueront aux humains – sans problème de temps, de lieu, ni même d’identité. De nombreux agents pourront travailler pour une même personne, démultipliant les origines du trafic.
Enfin, les nouveaux objets comme les caméras haute définition (drones, vidéosurveillance, lunettes ?) ou les véhicules autonomes auront besoin de très hautes capacités. Le réseau du futur (très proche) devra être alors davantage pensé pour les machines.