Le lancement de la 5G relance le sujet de la brèche/fracture numérique entre pays développés et émergents, entre zones rurales et urbaines dans les pays développés. Bien que théoriquement la technologie permette de fermer cette brèche en éliminant les coûts de construction de réseaux d’accès très large bande « enterrés » (la fibre), la réalité liée aux besoins de backhauling, montre que la différence de coûts, du moins à court terme n’est pas si importante. Verizon, déjà, qui avait remplacé le déploiement de la fibre optique au bénéfice de la 5G fixe a fortement réduit ses ambitions, alors même que la clientèle visée était des groupes aisés des zones résidentielles de villes américaines.
En revanche, la 5G mobile connait aux Etats Unis et en Corée du Sud, une croissance exponentielle, fortement liée à la disponibilité de terminaux à des prix accessibles.
Aborder les problématiques par zones
Dans ce contexte, comment faire de la 5G une technologie d’accès des zones rurales et à bas revenus et non pas une solution supplémentaire pour les zones denses à hauts revenus ?
Avant toute chose il parait pertinent d’aborder les zones mal couvertes dans les pays développés et les pays émergents de manière différenciée. Alors que la brèche dans les pays développés, sera probablement de courte durée et liée aux prix des terminaux dans les premiers temps, elle s’estompera au fil du temps. En revanche, à court terme, dans les pays émergents, il est difficile de penser qu’il pourrait y avoir des développements de 5G en dehors de quelques grandes agglomérations très peuplées et avec un segment de population à très hauts revenus, sans des actions volontaires des gouvernements et des bailleurs de fond. Ainsi, il n’est pas irréaliste d’imaginer un déploiement 5G à Sao Paolo ou à Mexico. Il est bien moins réaliste de l’imaginer en Afrique en dehors de quelques villes très peuplées et avec un segment de clientèle à hauts revenus important.
La brèche de couverture
Pour rappel, selon la GSMA, en 2020 le taux de pénétration de l’internet mobile en Afrique subsaharienne était de 28%. Un faible taux qui s’explique essentiellement par le prix d’accès des terminaux mobiles et des giga-octets. D’après l’agence Ecofin, sur une projection en 2025, en Afrique subsaharienne, le réseau 3G occupera encore 58% des réseaux mobiles et 28% pour la 4G. Le réseau 2G continuera de couvrir 11% du réseau mobile. La 5G quant à elle concernera une part inférieure à 10%.
Il est donc utopique de penser à un déploiement généralisé de la 5G dans les pays en développement notamment aux vues des investissements importants nécessaires dans la transformation des infrastructures et la mise à niveau des réseaux.
Alors que grand nombre de pays africains ne disposent pas encore de couverture 4G suffisante sur leur territoire et ceci parce que les opérateurs n’y ont pas trouvé le modèle économique justifiant ces déploiements, envisager la 5G de manière massive n’aurait pas de sens à ce stade. Bien qu’il puisse être imaginé que le lancement de la 5G permettrait de réaliser un « leapfrog », la question serait de se demander où ceci est nécessaire. Bien que la connectivité haut-débit soit, sans doute, un élément nécessaire au développement, la connectivité très haut débit n’est pas encore nécessaire dans tous les territoires du monde.
La brèche des usages
Alors que plus de 95% de la population mondiale vit désormais dans des zones de haut débit mobile, plus de 3,2 milliards de personnes n’utilisent pas encore l’internet mobile bien qu’ils vivent dans ces zones couvertes, selon les statistiques publiées par la GSMA. Couvrir les 5% restant des territoires reste un défi important mais le plus gros problème concerne les 40% de la population mondiale ( vs 3,2 milliards) qui sont couverts par un réseau mobile à large bande mais qui se heurtent à des obstacles qui les empêchent de se connecter. Ce fossé des usages s’explique par plusieurs facteurs :
- Le coût des terminaux mobiles, des abonnements et prix des giga-octets.
- Un manque de compétences numériques et d’aptitude à comprendre comment faire
- Accès aux contenus et services pertinents
- Problèmes de sûreté et de sécurité des accès
Les impacts de ces freins ont des conséquences considérables, en particulier dans les pays à revenu faible et intermédiaire (PRITI) où le mobile est la principale – et dans de nombreux cas la seule forme d’accès à Internet.
La technologie se déploie en relation à des usages. Ainsi, penser un développement 5G dans la plupart des pays émergents à ce stade parait précoce du fait du manque d’applications nécessitant ce niveau de capacité et la très basse latence. La 5G doit être intégrée dans des actions d’évolution globale de l’écosystème qui considèrent à la fois l’offre dans son ensemble (en intégrant le backhaul sans lequel l’accès 5G perd une bonne partie de son intérêt), et la demande, c’est-à-dire la création ou l’hébergement de contenus et services locaux. A ceci s’ajoute une variable très importante qui est l’accès à l’énergie à un tarif accessible, non seulement pour alimenter les antennes mais aussi les CDN qui hébergeront les contenus décentralisés.
Alors que l’arbitrage des opérateurs se fait souvent sur la base du retour sur investissement, celui des autorités publiques et bailleurs de fond doit intégrer : le besoin des usages spécifiques de cette nouvelle technologie et en particulier : la sécurité des populations et des biens, l’adressage de populations avec une alphabétisation digitale suffisante permettant le décollage des usages.
Ainsi, l’apparition d’une nouvelle solution technologique, ne change en rien, pour l’instant, les problématiques liées aux technologies antérieures.
Qu’est-ce qui pourrait justifier des déploiements 5G dans les pays les moins développés ?
Mais des pistes existent pour des déploiements ciblés, préparant à un élargissement lorsque les prix des équipements seront plus accessibles.
Les applications verticales
De même que les déploiements grand public paraissent prématurés à court terme, le lancement de certaines applications verticales pourrait agir comme levier pour les déploiements dans des zones considérées peu rentables à court terme et notamment les applications verticales liées à l’agriculture et à la sécurité des personnes et des biens (en particulier dans le cadre des industries d’extraction qui disposent des budgets et des applications). La FAO, par exemple, est extrêmement active dans le soutien de la connectivité des fermiers en Afrique par la mise à disposition de terminaux et par le développement d’applications sur les prix des matières premières.
L’optimisation des réseaux existants
« Dig once » est le nouveau crédo des bailleurs de Fonds et de l’ITU. Bien que l’utilisation des réseaux ne résolve pas complètement le déploiement des réseaux sans fil, le déploiement des réseaux backhaul dans des infrastructures existantes réduirait considérablement la facture totale de la 5G.
De même, une vision globale des réseaux à multiples usages (canalisation /électricité/télécom, par exemple) justifierait le déploiement de conduits dans des lieux où ils sont inexistants et contribuerait aussi à la protection écologique, autre grande priorité des Objectifs de Développement Durable.
Le remplacement de la Fibre
Bien que dans l’absolue, l’argument du cout des réseaux mobiles par rapport aux réseaux fixe s’applique aussi dans le cadre de la 5G, dans les pays émergents, ceci n’est pas encore une raison suffisante de déploiement, pour les raisons exprimées plus haut. Par contre, la couverture de zones spécifiques, peut trouver dans la 5G une solution valable.
Dans certains pays du monde, le déploiement de la Fibre dans le réseau d’accès est particulièrement difficile du fait d’une mauvaise vision des services publics enterrés, des difficultés d’excavation et même le pillage.
Ainsi, aujourd’hui, les déploiements extrêmement ciblés de la 5G en Afrique concernent des petites niches (comme ça a été le cas avec les déploiements de Fibre à ses débuts partout dans le monde). Par exemple, l’opérateur historique Cable and Wireless Seychelles a lancé la 5G dans la capitale Victoria, à Roche Caiman, le district central de l’île de Mahé, et à l'aéroport en juillet 2020, Togocom a couvert en 5G le quartier Ouest de l’aéroport international de Lomé.
Les nouveaux équipements optimisés
Par ailleurs, de nouvelles solutions visant à rendre les équipements plus facilement accessibles sont en train d’apparaitre et pourraient à terme couvrir de nouvelles technologies. Tel est le cas des antennes Rural Star Pro de Huawei, qui intègrent une station de base et un backhaul radio/LTE dans un package accessible et de petite taille.
Bien qu’envisager un déploiement massif de la 5G en pays en développement ou en zones rurales paraisse précoce, identifier les leviers qui dynamiseront le lancement dans les 3 prochaines années permettra de créer les conditions d’un saut qualitatif dans les écosystèmes de ces zones. Par ailleurs, en adresser la brèche des usages, permettra de créer les conditions de demande nécessaires au développement de nouveaux services.