La virtualisation du réseau et la désagrégation du réseau sont des concepts transformants dans l’évolution des technologies de télécommunications, en particulier dans le contexte du déploiement des réseaux 5G. Elles font évoluer l’écosystème en apportant aux opérateurs agilité, performance et indépendance tout en réduisant leurs coûts d’exploitation.
La dynamique de virtualisation des réseaux étend la composante logicielle des réseaux à l’ensemble de leurs couches. Elle déplace l’intelligence du coeur de réseau vers le réseau d’accès radio (RAN), au plus près des utilisateurs. Cela rend plus efficace l’utilisation des ressources et facilite l’orchestration dynamique des services réseau. Cette évolution fait émerger deux approches conceptuelles qui transforment l’écosystème.
Le RAN virtualisé, fréquemment associé au CloudRAN
La virtualisation du RAN permet aux opérateurs de déployer des fonctions radio, tel le contrôleur de base radio (RNC), sous forme de fonctions réseau virtuelles (VNF). Ces logiciels sont installés sur chacun des sites pour gérer et optimiser les réseaux de façon évolutive.
Cette virtualisation sert fréquemment à mettre en oeuvre le CloudRAN (C-RAN), une architecture dans laquelle les fonctions du RAN sont centralisées dans quelques centres de données (edge cloud) au lieu d’être hébergées dans des milliers de sites. Ces fonctions, telle la gNodeB (station de base 5G), sont alors déployées en tant que VNF sur des infrastructures de cloud computing.
L’utilisation combinée du vRAN et du C-RAN permet d’augmenter la capacité et de réduire la latence. Cependant, elle n’affranchit pas les opérateurs des solutions propriétaires, parce que les composants proposés par les fournisseurs restent peu compatibles entre eux.
Le RAN désagrégé, levier de l’OpenRAN
La désagrégation du RAN est une étape plus avancée. Elle dissocie les composants du RAN en plusieurs briques matérielles et logicielles avec des interfaces ouvertes entre elles. Elle sert de base au déploiement de la 5G dans laquelle les équipements radio sont désagrégés des unités de traitement de signal et des logiciels de contrôle. Cette évolution majeure a débouché sur le concept novateur d’OpenRAN : une architecture basée sur des normes ouvertes qui vise à garantir l’interconnectivité et l’interopérabilité entre les composants RAN de différents fournisseurs. Cette approche apportera une grande flexibilité aux opérateurs qui auront la liberté de choisir, pour chaque composant, la brique standardisée la mieux adaptée à leurs besoins spécifiques et à leur budget, au lieu d’opter pour les solutions fermées d’un nombre limité de fabricants propriétaires.
Plusieurs opérateurs dans le monde ont déjà déployé des projets CloudRAN
• China Mobile (Chine) a mené des déploiements à grande échelle pour améliorer les performances de son réseau.
• AT&T (USA) a lancé l’initiative «Network Cloud» de virtualisation des fonctions réseau, y compris le RAN.
• SK Telecom (Corée du Sud) a travaillé sur des projets CloudRAN d’amélioration de l’efficacité de ses réseaux 4G et 5G.
• Deutsche Telekom (Allemagne) a expérimenté la virtualisation RAN et les architectures de CloudRAN pour optimiser ses réseaux.
• Verizon (USA) a exploré la virtualisation du RAN pour améliorer la flexibilité et l’évolutivité de ses réseaux.
L’émergence de nouveaux acteurs et une dynamique de normalisation
Le concept d’OpenRAN transforme l’écosystème des télécommunications. Alors que les équipementiers historiques tentent de conserver leurs parts de marché actuelles avec des solutions virtualisées fermées, de nouveaux entrants s’impliquent dans la désagrégation du RAN. Des startups et des fournisseurs de logiciels se positionnent à la fois sur la partie matérielle et sur les fonctionnalités logicielles. Des entreprises comme Altiostar, Mavenir, Parallel Wireless travaillent activement sur des solutions OpenRAN.
Ces acteurs sont parties prenantes des travaux de normalisation lancés depuis quelques années par l’écosystème pour encadrer la désagrégation du RAN et le développement de normes ouvertes.
• Deux organisations de normalisations, IEEE et 3GPP, jouent un rôle important en établissant des normes et des spécifications techniques.
• L’organisation O-RAN Alliance, née en 2018 sous l’impulsion de 5 opérateurs dont Orange, regroupe une trentaine d’opérateurs, des équipementiers dont Nokia et Ericsson ainsi que des fournisseurs de logiciels. En tant que promotrice de la désagrégation et de l’ouverture du RAN, elle travaille sur le développement de spécifications et de normes ouvertes.
Des solutions transformantes
L’OpenRAN, avec ses fonctions virtualisées, désagrégées, programmables, intelligentes et interopérables offrira aux opérateurs des avantages mesurables en termes de flexibilité, d’agilité, d’évolutivité, d’efficacité et de réduction des coûts.
• Un RAN ouvert leur permettra de déployer et d’optimiser très rapidement de nouveaux services à moindre coût, répondant ainsi aux exigences évolutives des réseaux 5G.
• La centralisation des équipements réseau améliorera l’efficacité de la maintenance, grâce à une gestion simplifiée, une réduction des déplacements sur sites, des mises à jour plus rapides et une optimisation des ressources.
• Le développement de la concurrence entre des fournisseurs plus diversifiés encouragera l’innovation, facilitant l’intégration de nouvelles technologies et de nouveaux équipements.
• La virtualisation du RAN réduira la consommation d’énergie et, par rebond, l’empreinte carbone de l’opérateur, en déplaçant une partie de l’intelligence du réseau dans la couche logicielle. Elle réduira ainsi la quantité de matériel énergivore utilisé et optimisera les ressources réseau grâce à leur allocation dynamique en fonction des besoins réels du réseau.
Des points de vigilance
A long terme, la softwarisation des réseaux offre des avantages considérables en termes d’efficacité opérationnelle et de capacité à répondre aux besoins évolutifs des utilisateurs. Néanmoins elle pose des défis techniques et humains qu’il faudra relever.
• La sécurité est une préoccupation majeure. Avec la softwarisation, la surface d’attaque des réseaux ouverts et partagés augmente, ce qui nécessite une robustesse accrue des mesures de sécurité.
• L’interopérabilité entre les différents composants du RAN ajoute une complexité. Une orchestration et une gestion efficace des réseaux virtualisés seront essentielles pour assurer un fonctionnement harmonieux.
• Les opérateurs devront s’assurer que leurs solutions respectent les normes afin de garantir l’interopérabilité avec d’autres systèmes.
• Enfin, ces évolutions soulèvent des questions relatives à la transformation des compétences et la conduite du changement et au sein des entreprises. Il sera nécessaire de former et d’adapter les équipes pour tirer pleinement parti des avantages offerts par la softwarisation des réseaux.
OpenRAN : un déploiement de référence et des projets pilotes
• Pionnier de l’OpenRAN commercial à grande échelle, Rakuten Mobile (Japon) a utilisé des solutions OpenRAN pour créer un réseau 4G et 5G basé sur des normes ouvertes.
• En Europe, l’adoption de l’OpenRAN dépend de nombreux facteurs : les réglementations locales, les besoins spécifiques des réseaux et les opportunités commerciales
• Au Royaume-Uni, Vodafone s’est engagé à l’adopter pour diversifier ses fournisseurs d’équipements RAN et optimiser les coûts.
• En Espagne, Telefónica a mené des projets pilotes et collabore avec diverses entreprises pour développer et tester des solutions OpenRAN.
• En France, Orange a expérimenté OpenRAN dans le cadre de son projet pilote Pikeo et collabore avec des partenaires pour explorer des solutions.
Gregory CASAS, Consultant Pôle Gestion de Projets & Déploiement Réseaux chez Sofrecom
Olivier MUGNIER, Directeur Conseil et Ingénierie Réseaux chez Sofrecom
Chady ZAKHIA, Responsable Pôle Gestion de Projets & Déploiement Réseaux chez Sofrecom