Pour adapter le cadre réglementaire de la 5G, les régulateurs se doivent d’être à l’écoute de l’écosystème tout en essayant d’anticiper au mieux les usages qui se développeront.
Arnaud Comerzan
Les régulateurs jouent un rôle clé dans l’arrivée de la 5G. Leurs travaux sur un certain nombre de sujets sont déterminants pour le déploiement et la réussite commerciale de la nouvelle technologie mobile à commencer par leurs efforts d’harmonisation des bandes de fréquences, au niveau mondial, et les travaux de libération de ces bandes, au niveau national. S’y ajoutent les arbitrages sur la définition du cadre réglementaire ainsi que la valorisation et la définition des obligations de couverture. Plus le positionnement des régulateurs est rapide, plus les services 5G sont lancés rapidement.
Un cadre réglementaire souple pour favoriser l’innovation
Fixer un cadre réglementaire souple est pour le régulateur l’occasion de faciliter l’émergence des réseaux de nouvelle génération. En attribuant suffisamment tôt les fréquences nécessaires, il donne aux opérateurs et aux équipementiers la possibilité d’effectuer un certain nombre d’expérimentations. Il favorise ainsi l’émergence rapide de nouveaux usages différenciants comme le network slicing, l’edge computing, l’IoT, la voiture autonome, la 5G fixe ou encore les services à destination des professionnels.
Une politique de régulation « pro-innovation » peut se traduire par :
- l’autorisation temporaire d’expérimentations libérées d’une partie du cadre réglementaire,
- la simplification de démarches administratives,
- une proposition d’accompagnement des start-ups pour stimuler l’apparition de nouveaux usages.
De telles dispositions permettent à l’ensemble de l’écosystème (opérateurs, industriels, start-up…) de mieux anticiper l’arrivée de la 5G.
Plusieurs arbitrages essentiels
Même s’ils ne sont pas parties prenantes de la conception et du déploiement des réseaux de communication, comme les équipementiers et les opérateurs, les régulateurs deviennent, à leur manière, des architectes des réseaux de communication. En effet, ils influencent de plus en plus la façon donc les réseaux sont déployés en fixant un certain nombre d’objectifs et d’obligations dans les autorisations d’utilisation de fréquences des opérateurs.
Définir comment et à qui attribuer des licences
Au moment de l’attribution des fréquences 5G, de nombreuses questions stratégiques se posent aux régulateurs qui doivent rendre divers arbitrages : convient-il de réserver du spectre aux acteurs verticaux ? Quel arbitrage faire entre les fréquences attribuées pour le marché grand public et les fréquences pour le marché des entreprises ? Quel compromis entre latence et quantité de spectre attribuée : faut-il synchroniser les acteurs entre eux ou introduire des bandes de garde ?
Le mode d’attribution de la bande est un autre sujet important. Le régulateur choisira entre deux options :
- une attribution par licence exclusive : les bandes sont attribuées exclusivement aux opérateurs mobiles pendant une durée définie.
- une attribution par autorisation générale : les bandes sont dites « libres » comme les bandes 2,4 et 5 GHz utilisées par le Wi-Fi et le Bluetooth.
Même si l’immense majorité des attributions se fera sous un régime d’autorisations exclusives individuelles, certains acteurs pensent que la 5G aura également besoin d’utiliser des fréquences sous autorisation générale.
Trouver le juste équilibre entre prix des licences et obligations de couverture
Par ailleurs, des régulateurs, en accord avec les gouvernements, souhaiteront limiter le coût des attributions de fréquences pour préserver les financements des opérateurs et leur permettre de déployer massivement la 5G. En France, par exemple, après avoir attribué des fréquences 3G puis 4G à des prix importants, le gouvernement et l’Arcep ont décidé en 2018 via le « New Deal mobile » d’attribuer des fréquences sans coût supplémentaire en échange d’efforts de couverture et de déploiements extrêmement importants de la part des opérateurs. A l’inverse en Italie les enchères 5G se sont envolées et les prix payés en nombre de MHz par habitant ont été très élevés, ce qui limitera d’autant la capacité de déploiement de la 5G dans le pays.
Anticiper les usages de la 5G
Favoriser l’adoption rapide et massive de la 5G est une préoccupation fondamentale des régulateurs et des gouvernements pour ne pas brider le potentiel d’émergence d’une application ou d’un acteur national désireux de tirer parti de la rupture technologique annoncée.
Souvenons-nous : malgré tous les efforts déployés par les opérateurs dans le milieu des années 2000 pour trouver à la 3G de nouveaux usages grand-public (visiophonie, télévision en direct), la technologie a longtemps cherché son utilité. Il aura fallu attendre l’avènement des smartphones, symbolisée par la sortie de l’iPhone en 2007, qui ironie du sort n’embarquait qu’un modem 2G à son lancement, pour qu’elle soit exploitée à sa juste valeur.
Pour ce qui est de la 4G, elle a été conçue et imaginée alors que les smartphones étaient déjà massivement adoptés par les utilisateurs. Il est en effet probable que l’avance prise dans les déploiements et l’adoption de la 4G en Suède a favorisé l’émergence de Spotify sur le marché du streaming musical.
En ce qui concerne la 5G il est difficile d’imaginer avec certitude et précision quels seront les vrais cas d’usage qui se développeront et rencontreront un succès. Qui plus est, les attributions en cours permettent à court terme l’émergence de réseaux 5G non-standalone (NSA) donc encore incomplets dans leurs fonctionnalités. C’est uniquement dans un second temps, vraisemblablement à partir de 2022, que les réseaux et les usages vraiment innovants pourront être déployés avec la 5G standalone (SA).
Face aux incertitudes sur les futurs usages professionnels, les régulateurs adoptent des démarches différentes. Certains, comme le BNetzA en Allemagne, ont choisi de réserver une partie du spectre dès l’attribution de la bande 3,5 GHz aux acteurs industriels « verticaux ». A contrario, d’autres régulateurs comme l’Arcep en France ont choisi, de ne pas réserver de fréquences à ces acteurs et d’attendre l’attribution ultérieure d’autres bandes de fréquences comme celle des 26 GHz.
Pour adapter le cadre réglementaire de la 5G, les régulateurs se doivent d’être à l’écoute de l’écosystème tout en essayant d’anticiper au mieux les usages qui se développeront. Leur enjeu est de définir un cadre dont les obligations permettront à ces usages innovants de se développer (voiture autonome, verticaux, 5G fixe…) tout en anticipant le fait qu’ils ne se réaliseront pas forcément. En effet, rien ne permet actuellement de dire avec certitude que les voitures autonomes auront besoin de la 5G pour fonctionner.