Les deux nouveautés que les constellations satellites de télécommunications apportent sont : une meilleure latence et un meilleur prix.
Ces dernières années le marché des constellations de satellites de télécommunications vit un revival, avec des nouveaux projets en orbite basse comme starlink, Oneweb, Kuiper. Les pionniers des années quatre-vingt-dix Iridium et Globalstar n’avaient pas réussi à trouver un marché encore dominé par le bas débit. Mais en quoi la situation est-elle différente 30 ans plus tard alors que la demande et l’offre ont considérablement augmenté ?
Des Services prévus pour des télécommunications fixes haut débit
Les offres des constellations ne sont pas des services de communication portables, car les équipements clients sont plutôt des ensembles boîtiers/paraboles qui nécessitent une alimentation électrique conséquente et présentent un encombrement important.
Les clients finaux sont donc des sites d’entreprise ou des logements de particuliers pour des communications internet haut débit. Il peut s’agir également d’opérateurs de hotspots en zone rurale. En termes de marché l’on parlera de télécommunications fixes.
Toutefois, Les satellites géostationnaires couvrent déjà ce type de besoins via des opérateurs comme Eutelsat, en quoi ces nouveaux services sont-ils un game changer ?
Les deux nouveautés que constellations apportent sont 1) une meilleure latence (ils sont situés à moins de 1500 km du sol contre 36 000 km pour les systèmes actuels) et 2) potentiellement un meilleur prix (la capacité spatiale étant amenée à être multipliée par 10 d’après Euroconsult, le coût de la connexion pourrait baisser considérablement.)
Les entreprises, prêtes à utiliser ces services, sont concentrées dans certains verticaux : l’énergie, le transport maritime ou l’extraction des matières premières. Celles-ci ont en effet leurs opérations éloignées des centres urbains densément couverts par la fibre. Ces business ne sont pas particulièrement désargentés et ont déjà investi dans des services de télécommunications satellitaires lorsqu’elles en avaient besoin. La latence des communications n’est pas un problème insurmontable pour cette clientèle, qui a déjà adapté ses applications aux latences des géostationnaires.
Les logements de particuliers dans des zones rurales bénéficient déjà des offres via satellite qui répondent aux besoins classiques (streaming, réseaux sociaux).
En fin de compte, les performances en débit – moins que la fibre - et en latence – moins que la 5G – restent bien inférieurs aux standards des zones denses.
Pourtant Euroconsult prévoit que ce marché de la connectivité (qui vaudrait aujourd’hui dans les 3-4 milliards de $) jusque-là assez stable, pourrait être amené à tripler sous l’effet du déploiement des constellations. On se projetterait dans un rationnel de marché où la baisse des prix pourrait stimuler une nouvelle demande, qui à son tour favoriserait le développement de nouveaux usages, dans un cercle technico-économique vertueux. Un éco-techno push en quelque sorte.
Des Services de télécommunications mobiles bas débit
Les téléphones portables spécifiques peuvent déjà communiquer avec des satellites (par exemple système Iridium). Ces capacités s’étendent au grand public, Apple vient d’annoncer avec l’iPhone 14 la possibilité d’envoyer des SMS par les satellites GlobalStar. Mais il semble que la taille d’une antenne d’un smartphone soit incompatible avec une transmission d’internet haut débit de type 4G pour des raisons physiques. En termes d’usages et de services, l’utilisation de ces services serait finalement principalement de la voix/SMS, ou la data bas débit (souvenons-nous du protocole WAP).
En Afrique subsaharienne plus de 90% du marché des télécommunications est dominé par les services mobiles, avec un revenu mensuel moyen par téléphone de moins de 10$. On ne parle ici que des 60% des chanceux qui bénéficient d’un service de téléphonie mobile. Les freins d’accès à l’internet dans des pays à faible revenus (au sens de la banque mondiale) sont l’accès à l’électricité (42% seulement de la population de ces pays) ou le coût du smartphone (plusieurs mois de salaire moyen).
Des téléphones à prix plus abordables à capacité satellitaires pourraient apporter une couverture bas débit universelle, avec d’importants impacts en termes de développement et d’inclusion, mais finalement avec des usages plus proches du monde de la 3G.
Les logiques qui précèdent le marketing
Mais les réseaux satellitaires répondent aussi à d’autres logiques.
Une première logique est celle du capital risque où l’on a une opportunité de conquérir un marché, même si cela nécessite d’anticiper une demande. Les premiers présents ont la possibilité de consolider le marché, et d’autres de vendre au meilleur prix au sommet de la bulle. Cela est favorisé par un contexte d’abondance de liquidités. Les constellations offrent aussi « une belle histoire », et font partie du « New Space » où se mêlent des satellites de poche, des fusées réutilisables et la conquête de mars dans une ambiance de nouvelle frontière comme en raffole la Silicon vallée.
Comme illustration du mécano capitalistique, le pionnier OneWeb a déposé le bilan en 2020 - son premier investisseur Softbank y avait investi 2 millards de $ - et a été relancé par un consortium anglo-indien dirigé par Bahrti, qui y a investi 1milliard de $ et a fusionné finalement avec Eutelsat en 2022 qui y investit 500m$ à son tour. L’ensemble de ces acteurs restant actionnaire du nouvel ensemble.
La deuxième logique est celle de la « conquête de l’ouest », où ceux qui déploieront le plus de satellites auront conquis le plus grand morceau d’espace. Donc au lieu de chercher un impossible business plan, l’un des objectifs pourrait être patrimonial, la constitution d’une propriété dont la valeur sera bien supérieure aux coûts d’un lancement de satellite, une version spatiale des terrains virtuels que certains achètent dans le metaverse.
La dernière logique est stratégique. Le conflit en Ukraine a révélé qu’un réseau d’internet par satellite civil – en l’occurrence Starlink – pouvait être utilisé à des fins militaires. Dans une perspective de souveraineté, les principaux blocs géopolitiques (Union Européenne, Chine, USA, …) se doivent de maîtriser leur constellation indépendamment de sa rentabilité. Les Chinois, les Européens, les Russes … tous veulent maintenant leur constellation en propre.
Ainsi les LEO se trouvent-ils au croisement de plusieurs facteurs. Un engouement pour la technologie et les belles histoires, l’accaparement des ressources orbitales de la dernière frontière, et le nouveau « Grand Jeu » des puissances spatiales. Finalement le marketing à l’ancienne passe après.