Pour favoriser l'inclusion, notamment financière, des administratés, le système d'identité digital doit être interopérable afin de devenir accessible aux fournisseurs de services publics et privés.
Fin 2022, 850 millions de personnes dans le monde ne possédaient toujours pas de documents d’identité officiels ou reconnus par leur Etat. La grande majorité de ces millions de citoyens « invisibles » vivent en Afrique et en Asie du Sud.
Encore trop d’individus sans identifiant
Alors que la plupart des Etats sont dotés d’un système d’identification national, des millions d’administrés restent exclus du système. Ces citoyens, incapables de prouver
qui ils sont, sont généralement des individus vulnérables : des enfants sans certificat de naissance, des femmes, des ruraux, des pauvres éloignés du système éducatif.
Selon l’initiative Identification pour le Développement (ID4D) de la Banque Mondiale, en 2021 trois raisons principales expliquent ces situations :
- La nécessité de fournir des pièces justificatives (46%) et la complexité des procéduresd’enregistrement.
- L’éloignement géographique des points d’enregistrement (44%) et l’obligation d’effectuer plusieurs visites.
- Les coûts du transport et le montant prohibitif des frais d’enregistrement (40%).
S’y ajoute la méfiance des administrés face au manque d’efficacité humaine ou de fiabilité technique du process d’enregistrement.
Lorsque les personnes parviennent à s’enregistrer, des difficultés peuvent persister :
- Les données d’identification ne sont pas fiables: date de naissance inexacte, orthographe des noms non normalisée variant d’une pièce d’identité à l’autre pour un même individu, absence d’un numéro d’identification unique permettant de pallier notamment de fréquents problèmes d’homonymie.
- Les registres d’état civil et autres bases d’identification ne sont pas mis à jour : non déclaration d’un mariage, d’une naissance ou d’un décès, pièce d’identité expirée non renouvelée, absence d’interconnexion entre les bases de données des différents services publics (état civil, protection sociale, impôts, filets sociaux etc.).
Des conséquences lourdes pour ces populations vulnérables
Ces défaillances mettent les administrés en situation d’exclusion. Un citoyen dans l’incapacité de prouver son identité accèdera difficilement aux services publics (filets de protection sociale, soins de santé, éducation), à ses droits civiques (vote) et aux services de première nécessité (télécommunications, services financiers, assurance). En effet, réglementairement, les fournisseurs n’ont pas le droit de lui délivrer un service. De plus, ils cherchent à se protéger contre les risques de fraude. De toutes façons, l’absence d’identification rend difficile, voire impossible, une authentification parfaitement sûre de l’utilisateur au moment de délivrer le service. Dans les situations d’identification partielle, les fournisseurs peuvent néanmoins consentir un accès limité, comme dans de nombreux pays de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) où les opérateurs de mobile money limitent le
montant des transactions. Ils reconstruisent alors une identité fonctionnelle qui se distingue de l’identité fondationnelle juridiquement reconnue. Posséder une preuve légale de son identité est un droit et la porte d’entrée pour bénéficier des aides de l’Etat, accéder aux services financiers, trouver du travail. Des solutions existent pour mettre en oeuvre un système d’identité numérique fiable et interopérable qui devienne un levier d’inclusion.
Déployer une stratégie d’identité digitale nationale
L’étape socle pour les Etats, responsables de l’accès des populations à leurs services, consiste à renforcer le système d’état civil. Ces dernières années, de nombreux gouvernements ont lancé des programmes de mise en oeuvre de Systèmes Nationaux d’Identification Digitale dans le cadre de projets comme WURI (West Africa Unique
Identification for Regional Integration and Inclusion) financés par la Banque Mondiale. Ces programmes de création d’une base de données d’état civil, centralisée au niveau du gouvernement, mettent en oeuvre un numéro d’identification unique garantissant la fiabilité et la qualité des données. Ils peuvent être renforcés par l’intégration de caractéristiques biométriques propres à chaque individu. Ils sont couplés à une campagne d’enregistrement massive qui doit permettre d’identifier l’ensemble des administrés et de les doter d’un document d’identité formel unique, reconnu par l’Etat.
Intégrer ce programme dans une stratégie de digitalisation globale
Le retour d’expérience a montré que le croisement des bases de données des différentes administrations avait du sens pour atteindre la majorité d’une population. Le rapport annuel ID4D 2022 en témoigne : « Les recherches menées par G2Px sur la réponse de la protection sociale au COVID-19 dans plus de 80 pays ont révélé que les pays qui avaient la capacité d’utiliser et de croiser les bases de données administratives existantes ont atteint la moitié de leur population (en moyenne), tandis que ceux qui n’avaient pas cette capacité n’ont atteint que 16 % de la population ». L’interconnexion des bases de données des différents services publics garantit une couverture plus grande de la population en termes d’identification et de «délivrance» des services. De plus, elle allège la gestion, permet d’automatiser les mises à jour des données partagées ce qui limite les risques d’erreurs humaines. Elle optimise les ressources pour l’Etat et simplifie les procédures pour les administrés. Les gouvernements ont donc grand intérêt à intégrer la mise en place de leur système d’identification digital dans une stratégie globale de digitalisation de l’Etat.
Mettre la digitalisation au service de l’inclusion
Pour favoriser l’inclusion, notamment financière, des administrés, le système d’identité digital doit être interopérable afin de devenir accessible aux fournisseurs de services publics et privés. En effet, s’ils peuvent s’appuyer sur une identification fiable, répondant aux exigences réglementaires, les fournisseurs pourront mettre en oeuvre une procédure d’enregistrement simplifiée. Lorsqu’elle intègre, par exemple, des solutions de reconnaissance biométrique, la solution d’IDD devient un moyen de renforcer également le processus d’authentification de l’utilisateur du service au moment de la « délivrance » du service. Mettre une telle solution à disposition des fournisseurs facilite un accès fiable et sécurisé des administrés aux services de base.
La digitalisation pour tous partout
L’ultime étape consiste à digitaliser complètement certaines procédures (renouvellement, demande de service etc.) pour que les administrés puissent les effectuer à distance, en toute autonomie, sans plus avoir à se déplacer. Elle suppose la mise en place de solutions digitales fiables de reconnaissance des personnes à distance. Pour rendre ce système opérationnel, il est indispensable de combiner son lancement avec le déploiement de la connectivité en zones rurales et des campagnes de sensibilisation et d’éducation au digital et à l’économie digitale. Cela suppose de faciliter l’accès des individus à des smartphones à bas prix et à des points de recharge électrifiés.