Dans les directions financières des opérateurs, résonne la même complainte : où est le business case ? Ce petit billet de présente est un premier baume pour calmer cette douleur.
L’efficacité opérationnelle, la première catégorie de gains.
Dans un white paper consacré au telco cloud, Vmware annonce des gains capex&opex allant jusqu’à 38% lors de la transition vers le cloud. Le principe général est que la migration vers une plateforme multi-cloud réduits les coûts induits par les silos technologiques.
Ainsi peut-on attendre une amélioration de 15% de la gestion des configurations grâce au provisionning de bout en bout (au lieu de le faire pour chaque silo séparément, puis ensemble ensuite). On attend également une résolution de problèmes 95% plus rapide grâce à l’automatisation. Ces gains sont directement transposables sur les coûts de personnel ou en satisfaction client (donc en taux de churn). Il y a d’autre part des avantages sur l’utilisation hardware, en particulier cellules radio peuvent faire des gains de consommation de l’ordre de 15%. Ces architectures de bout-en-bout ouvrent plus de flexibilité pour lancer de nouveaux services : VMWare annonce une amélioration de 40% du temps nécessaire pour concevoir, construire, tester et déployer.
En fin de compte, un opérateur virtualisé doit s’attendre à une déformation de son mix de coûts. Ceux liés aux dépenses IT seront plus élevées, reflétant l’accent mis sur les logiciels.
Tandis que les coûts de CAPEX et d’OPEX seront moins élevés car requérant moins d’infrastructures physiques et bénéficiant d’une meilleure efficacité. On peut aussi espérer que la digitalisation des services permettra une baisse de coûts de commercialisation.
Pour revenir au monde réeel, ces /données concernent surtout un opérateur « greenfield », c’est-à-dire déployant dès le début une architecture virtualisée. Dans la réalité in faut aussi intégrer le legacy et migrer les clients.
Pour ce qui est lié aux revenus externes Il faut distinguer plusieurs domaines.
Les services de réseau virtuel impliquent l’hébergement et la mise à disposition de fonctions de réseau virtualisées. Ceci va concerner les clients qui opèrent les réseaux pour leur compte.
Les opérateurs mobiles (en particulier les opérateurs virtuels mobiles) vont pouvoir acheter des éléments de réseaux virtualisés potentiellement à l’usage. Par exemple l’opérateur allemand 1&1 vient d’annoncer le lancement de ses services s’appuyant sur le cloud de Rakuten Symphony, société appartenant à l’opérateur japonais Rakuten. Ce dernier a mis au point cette architecture pour son propre compte et a décidé de le monétiser, devenant finalement le concurrent de l’équipementier Nokia, qui a une offre de Coeur-de-réseauas-a Service. Opérateurs et Equipementiers se retrouvent.
Du fait de leur scalabilité, Les solutions virtuelles sont particulièrement adaptées à la construction de réseaux privés mobiles. Ces réseaux sont déployés dans l’industrie manufacturière ou minière. Mais qui construit ce réseau ? Ce sont aussi les entreprises ou leurs intégrateurs et équipementiers, qui se retrouvent sur le même marché que celui des opérateurs mobiles. Analysis Mason estime que ce marché vaudra 9mds d’euros en 2028.
Dans un cas d’usage complètement différent, il est possible d’héberger dans des data centers des fonctions virtuelles (VNF) pour les réseaux fixes internationaux (Wide Area Networks) comme le SD-WAN ou le contrôle d’accès. Cela devient particulièrement pertinent quand ces mêmes data centers hébergent les applications clients. Ainsi des fournisseurs de cloud comme AWS ou d’Equinix peuvent devenir des enabler de briques réseaux achetées par les entreprises. Orange Busines a annoncé avec l’intégration des solutions de SD-WAN de VMware dans son infrastructure evolution platform. Celleci consiste en «un réseau mondial de Supers Points of Presence (PoPs) à proximité des utilisateurs finaux et des fournisseurs de Cloud, minimisant la latence pour les applications». Orange Business se propose d’être ainsi un fournisseur de fonctions réseaux cloudifiées. Les fournisseurs de réseaux et de cloud se retrouvent sur le même terrain. Ces marchés combinés valent plusieurs centaines de milliards.
Pour revenir à des services aux utilisateurs, la softwarisation des services réseau, ouvre la possibilité d’ouvrir des interfaces sous forme d’API (application Programming Interfaces) entre les réseaux et des tierces parties. Quelle valeur cela peut-il représenter ? Les APIS peuvent servir soit de pilotage (configuration, y compris temps réel), soit de recueil d’informations. Pour comprendre la valeur de ces fonctions, il faut revenir au cas d’usage auxquels elles s’appliquent.
Les objets connectés peuvent bénéficier des APIs réseaux, en particulier pour les fonctions liées à la sécurité. On assiste à la multiplication de devices comme des caméras, qui restent encore très vulnérables face aux attaques. La couche réseau est beaucoup plus protégée et celle-ci peut indiquer en temps réel si l’objet a été déplacé ou si sa SIM a été altérée. Déjà les entreprises qui gèrent ces objets sont interconnectées via des API à leurs fournisseurs réseau, donc ces nouvelles APIs plus riches s’inscrivent plutôt dans la continuité. Le marché de la connectivité M2M représente environ de 5-10% du marché total de la connectivité mobile.
La configuration automatique concerne des fonctions de bande passante ou de routage à la demande qui seraient appliqués à des services premiums, en particulier sur les réseaux mobiles.
Ainsi peut-on router dynamiquement certains flux au plus proche des applications (à « l’edge ») afin d’optimiser les temps de réponse. Cela concerne- des applications B2B spécifiques comme le pilotage de drones, mais aussi à certaines configurations de gaming pour le B2C.
Pour la bande passante à la demande on évoque des services évènementiels (le gain de bande passante est temporaire) ou des services de priorisation (préemption par des services d’urgence, services premium entreprises).
Dans tous ces derniers cas, les APIs sont des capacités qui enrichissent des services, mais n’apportent pas de valeur en elles-mêmes. En revanche l’exposition de ces APIs est un nouveau domaine qui va faire intervenir dans la chaîne de valeur télécoms de nouveaux acteurs : markeplaces, fournisseurs de plateformes, agrégateurs. La monétisation de ces API par ces nouveaux acteurs dépend de l’adoption de ces services … qui n’existent pas encore.
Pour proposer une très provisoire conclusion à ces discussions sur la monétisation de la virtualisation :
• Un business case interne, crédible pour des opérateurs Greenfield, mais qui nécessite de bien mener la transition pour un opérateur legacy
• Des opportunités originales de coopétition entre acteurs des softwares réseaux, acteurs du Cloud et opérateurs télécoms. Au point qu’il devient difficile de distinguer le marché des uns et des autres.
• Des cas d’usages extrêmement diversifiés accélérés par l’ouverture des réseaux par les APIS, qui n’ont pas de valeur en soi, mais qui possèdent des potentialités de disruption.
Nous pouvons répondre à notre directeur financier– pour reprendre une formule célèbre- qu’il n’y pas d’alternative. On peut d’abord lui conseiller de provisionner les coûts d’un programme de transformation pour recueillir les fruits de l’efficacité opérationnelle. Pour la partie externe nous sommes bien dans une pièce à double face ou la virtualisation accélère le rapprochement des marchés de l‘IT et des télécoms. Côté pile elle renforce la valeur des services réseaux (avec des APIs) mais côté face elle facilite l’arrivée potentielle de nouveaux acteurs sur des prés carrés des opérateurs (les réseaux privés par exemple). On est bien obligé de jouer les deux faces à fois.