Les réseaux privés mobiles se développent car ils offrent des performances optimales tout en bénéficiant d’un environnement technique et réglementaire favorable. Ces réseaux sont-ils susceptibles de préempter la monétisation des réseaux 5G partagés dont les telcos ont tant besoin pour financer leurs investissements ? Cela va dépendre de la capacité des opérateurs d’opérer un renversement copernicien autour des SLA mobiles. Ils devront sans doute pour cela s’appuyer sur tout l’écosystème qui nourrit les cas d’usages des clients finaux.
Les Services Level Agreement dans les services aux entreprises (B2B)
Un Service Level Agreement (SLA) est avant tout un contrat qui transcrit la capacité du fournisseur à s’engager sur la prédictibilité de performances. Par exemple, dans le cadre d’une garantie de temps d’intervention (GTR) de moins de 4h, elle indique que le fournisseur a mis en place le dispositif nécessaire de trouble ticketing pour suivre la demande, repositionner des équipes d’astreinte pour l’intervention, etc... Dans le cadre d’une garantie de débit ou de temps de transit, le SLA sera associé à un système de reporting qui permettra de suivre la tenue des indicateurs.
La prédictibilité des interventions en cas de panne, la stabilité des performances et la capacité de suivre et de rendre compte, sont les services recherchés derrière le SLA, bien plus que les montants des pénalités qui compensent rarement les pertes d’exploitation des entreprises.
Les SLAs sont associés depuis longtemps aux services télécoms fixes sur le marché B2B. Commercialisé sur les accès de gros (wholesale) comme de détail (retail), l’accès B2B avec SLA peut être valorisé jusqu’à 10 fois plus que son équivalent technique B2C.
Il est difficile de monétiser le SLA sur le réseau mobile
Le monde du mobile n’est pas à l’aise avec ces notions de SLA pour plusieurs raisons :
- Le déploiement et le dimensionnement du réseau mobile se fait à partir des besoins B2C.
- Les usages des utilisateurs mobiles B2B sont difficiles à distinguer de ceux des utilisateurs B2C.
- L’application d’une garantie d’intervention (GTR) spécifique au B2B est problématique dans le monde mobile où tous les éléments physiques sont partagés.
- Les contraintes de propagation rendent difficiles la stabilité des performances, surtout en mobilité.
En fin de compte, Il est extrêmement difficile de monétiser à son juste coût une réservation de la ressource mobile. Et, de par le monde, cette règle d’airain n’a pas souffert d’exceptions.
Mais la 5G rompt avec certaines limitations de la génération précédente
Les cas d’usage de la 5G les plus prometteurs sont portés par le B2B, et en particulier sur l’Internet des Objets et les usines connectées (industrie 4.0). Si les humains en entreprise utilisent leurs téléphones comme les humains à la maison, ce n’est pas le cas des machines. L’on peut envisager que des besoins critiques de ces machines communicantes (Machine2Machine) puissent trouver un bénéfice du SLA.
Le slicing (capacité de créer des sous réseaux mobiles) est un élément marketing (et technique) fondamental de la monétisation mobile car il généralise la capacité de traiter certains clients différemment, mieux que les autres. Même si le slicing ne crée pas la qualité de service, il ouvre la voie à la monétisation du réseau mobile.
Les réseaux privés pourraient capter la plus grande partie de cette monétisation
Le secteur le plus affirmé de cette monétisation 5G est celui des campus industriels. L’idée est de couvrir une usine avec des antennes 5G dédiées afin d’unifier l’ensemble des robots connectés – fixes ou mobiles - sous une seule architecture plus flexible et plus performante que l’existant Wifi ou filaire. Ces réseaux ne sont pas l’apanage des opérateurs et peuvent être déployés par toutes sortes d’acteurs IT.
Les solutions dédiées ont l’avantage d’offrir une couverture optimale du site, un sentiment de sécurité renforcé, un contrôle des données, des redondances et finalement… une maîtrise optimale du SLA. En effet le cocktail de bénéfices formé par le mélange spectre réservé, antennes optimisées et capacité de traiter 100% des informations sur le campus permet de garantir des disponibilités et temps de réponse applicatifs compatibles avec les processus les plus exigeants.
L’écosystème 5G, virtualisé et plus ouvert que celui des générations précédentes, améliore la compétitivité des solutions privées. Celles-ci sont encouragées par les autorités de réglementation qui ont attribué des fréquences aux entreprises dans de nombreux pays comme la Belgique, la France ou l’Allemagne. Enfin, avec les futures fréquences millimétriques (26Ghz) il sera nécessaire de déployer des antennes de petite taille en grande densité; elles feront partie de l’aménagement des édifices, ce qui donnera aux propriétaires/gestionnaires des bâtiments un avantage considérable.
Déplacer la bataille du SLA de la périphérie vers le centre
La bataille du SLA va donc commencer à se livrer au niveau des sites, sur un terrain qui n’est pas favorable aux opérateurs. C’est un combat à front renversé : on dédie les ressources spectrales, on dédie les antennes, on limite la mobilité. La 5G est utilisée pour des usages LAN/MAN (Local/Métropolitain) et non pas sur des grandes distances.
Pour les opérateurs la contre-attaque peut se dérouler suivant plusieurs stratégies :
- La Guérilla : Agir comme intégrateur des solutions radio 100% privées en tirant parti de leurs assets dans le cloud, la cyber sécurité ou les analytics.
- La Guerre de Tranchée : Offrir sur des éléments partagés (spectre, antennes, cœur réseau, plateforme de développement,…) des capacités de réseau privé. Les opérateurs ont l’avantage de la structure de coût, et l’arme du slicing et de la virtualisation qui leur permet de découper les responsabilités du réseau. Ce sont les réseaux hybrides.
- La Guerre de Mouvement : Accepter de réserver des ressources du réseau partagé aux usages B2B. Cette formule qui fait peur, car elle peut brider potentiellement les performances des clients B2C, peut être finalement relativement indolore d’un point de vue ressources si l’on pense que 80% des usages mobiles sont constitués de vidéos grand public.
Pour que les investissements des opérateurs soient valorisés
Pour que la monétisation de la 5G profite aux réseaux partagés des opérateurs, et non aux solutions dédiées des intégrateurs, il va falloir livrer un effort marketing important. Si l’on se réfère à l’histoire du SLA dans le monde du fixe, cela requiert de convoquer tout l’écosystème – comprenant les éditeurs de solutions, des industriels télécoms évangélisateurs mais aussi des acteurs wholesale ambitieux pour amener le SLA au monde mobile. Certains prophétisent que c’est de l’arrivée de la verticalisation (ie intégration de toute la chaîne de valeur service+ logiciel-équipement +capteurs IOT + connectivité/ MNO-VNO) que surgira le changement de paradigme.