Les opérateurs s’appuyant sur la 5G pour remplacer la connexion fixe des domiciles pourront proposer des offres de convergence auprès d’une clientèle qu’ils ne pouvaient pas encore atteindre jusqu’à présent.
Florian Jozefowicz
Le déploiement d’une nouvelle technologie de réseau mobile est l’occasion pour les opérateurs de repenser leurs gammes de produits, le prix de leurs forfaits et de monétiser de nouveaux d’usages. La 5G n’échappe pas à la règle. Cependant, dans un contexte où le grand public semble se satisfaire de la 4G, comment les opérateurs peuvent-ils valoriser la nouvelle technologie ? Le déploiement de la 5G représente non seulement un défi technique mais aussi un challenge pour le modèle économique de l’opérateur.
Différents modèles de tarifications « premium » envisageables pour le grand public
L’augmentation de prix est souvent la manière la plus simple pour les opérateurs de monétiser une nouvelle technologie. Les premiers lancements commerciaux 5G grand public à travers le monde le confirment. On observe trois grands modèles de mise en place de cette augmentation :
- Une nouvelle gamme 5G en remplacement de la 4G : l’opérateur remplace progressivement ses forfaits 4G par des forfaits dédiés à la 5G, en commençant logiquement par les forfaits haut de gamme. Les nouveaux forfaits sont proposés à un prix plus élevé éventuellement justifié par un niveau de data plus important. Ce scénario a l’avantage d’offrir une gamme 5G simple et facilement compréhensible. En revanche, il se heurte aux faibles niveaux de couverture et d’équipement des clients, le déploiement du réseau et la pénétration des téléphones 5G restant assez limités. Le remplacement des forfaits 4G encourage la migration du parc vers la 5G. Toutefois, un manque d’engouement des clients à passer à cette nouvelle technologie risque de créer un effet boomerang : inciter les clients à se tourner vers les autres opérateurs pour retrouver des forfaits 4G haut de gamme.
- Une nouvelle gamme 5G en cohabitation avec la gamme 4G existante : l’opérateur déploie une nouvelle gamme 5G qui cohabite avec la 4G. Logiquement, cette dernière est proposée à un prix plus élevé. Le modèle permet de conserver des niveaux de prix 4G attractifs dans les zones non couvertes par la 5G. Cependant, commercialiser les deux gammes en parallèle peut s’avérer périlleux pour l’opérateur notamment dans la gestion de ses parcours de souscription digitaux. En outre, ce modèle ne pousse pas le client à souscrire à la 5G, contrairement au scénario précédent.
- La 5G comme option aux forfaits existants : la gamme en vigueur reste à l’identique mais une option payante permet de bénéficier de la 5G. Ce modèle a l’avantage d’être très flexible : l’option peut être proposée avec tous les forfaits ou seulement une partie. Son prix peut varier en fonction du forfait associé. Une offre d’essai gratuite peut même stimuler l’intérêt des clients. Cependant, il faut s’assurer que cette option est bien valorisée par les vendeurs en boutique et visible sur les canaux digitaux. De plus, réduire à une simple option l’ensemble des promesses 5G risque de dévaloriser l’image de la nouvelle technologie et donc son intérêt dans l’esprit des prospects.
Il est à noter que l’augmentation des prix reste un exercice dangereux. Il l’est d’autant plus sur la 5G que l’appétence des consommateurs n’a pas encore été démontrée. Dans l’étude « The Promise Of 5G » publiée par PwC en 2018, on apprend que seul 1/3 des clients serait aujourd’hui prêts à payer plus cher pour la 5G. Parmi les fonctionnalités qui intéressent le plus les clients, on retrouve dans l’ordre : le débit, l’utilisation illimitée de données et la fiabilité du réseau.
Par ailleurs, pour lancer une tarification premium, l’opérateur doit se prévaloir d’une technologie prête et couvrant un minimum de zones. Lorsqu’en avril 2019 Verizon fut le premier à lancer une offre 5G mobile grand public aux Etats-Unis pour 10$ supplémentaires, l’opérateur a rapidement dû faire machine arrière. La couverture du réseau et sa performance globale étaient en effet trop faibles pour justifier une telle augmentation tarifaire.
De nouvelles possibilités de segmentation de gamme pour l’opérateur
Dans un contexte où l’illimité se développe, la data devient de moins en moins un critère de segmentation au sein des gammes de produits des opérateurs. La solution pourrait être alors de segmenter ses offres en fonction de la vitesse proposée. Certains opérateurs pratiquent déjà cette segmentation sur la fibre notamment SFR en France et BT en Angleterre, ou sur les forfaits 4G, comme Elisa en Finlande.
Cependant, une telle segmentation de gamme génère certaines problématiques. Il va par exemple, être difficile pour l’opérateur d’assurer en permanence le débit promis au client : cela dépend de son appareil mais aussi de la couverture réseau à l’endroit où il se situe. Ces promesses de débits sont par ailleurs très surveillées au niveau réglementaire. Enfin, les clients doivent être convaincus de l’utilité d’un débit supérieur, sinon il n’y aura que très peu de montée en valeur et l’ARPU client restera faible.
La latence améliorée peut également servir de nouveau levier de segmentation de gamme. Elle permet de délivrer une promesse de mobilité parfaite et sans coupures avec une qualité d’expérience sur mobile très semblable à celle du broadband. Ce bénéfice client est cependant bien plus difficile à marketer comparé au gain de débit car il est difficilement perceptible au travers de l’expérience client hormis pour quelques cas d’usage comme le Cloud Gaming et le jeu en ligne.
Les nouveaux usages vidéo sont aussi un levier de monétisation et de différenciation
Grâce à ses caractéristiques la 5G va ouvrir la voie à la consommation de formats vidéo en résolution supérieure : 4K, 8K, voire 16K et 32K, mais aussi à :
- la réalité virtuelle (VR)
- la réalité augmentée (AR)
- et à la réalité mixte
Réalité virtuelle (VR) : C’est une technologie totalement immersive. Elle crée un univers artificiel en 3 dimensions, généré par un ordinateur et dans lequel l’utilisateur peut interagir, se déplacer et évoluer. Ce dernier utilise un casque sur lequel sont projetées des images virtuelles.
Réalité augmentée (AR): Il s’agit d’une vue en direct d’un environnement physique, dont les éléments sont "augmentés" par des éléments générés informatiquement, par exemple une cabine d’essayage virtuelle reprenant vos préférences exprimées sur les réseaux sociaux.
Réalité mixte (MR) : Elle associe le monde réel et des éléments numériques sur lesquels l’utilisateur interagit en utilisant des technologies de détection et d'images de nouvelle génération
Les opérateurs peuvent exploiter ces types de contenu de deux principales façons :
- en construisant des bundles : en nouant des partenariats avec des acteurs tiers de référence pour enrichir leurs offres
- en développant leurs propres services 5G en OTT ce qui permet de sécuriser le client autour d’un écosystème propre.
Ces nouveaux contenus viendront justifier une augmentation tarifaire et enrichir la promesse marketing de l’opérateur. L’opérateur Sud-Coréen SK Telecom a par exemple développé sa propre plate-forme dédiée « 5GX » avec plusieurs milliers de titres VR, AR et UHD/4K proposés pour mettre en avant ce type de contenus auprès de ses clients.
Après le mobile, le Fixed Wireless Access (FWA) représente la principale opportunité de revenus issue de la 5G.
La 5G permet aussi d’offrir à ses clients grand public une expérience comparable à celle de la fibre, à prix compétitif, dans les zones où le broadband est soit peu déployé, soit déjà dominé par un acteur. Les opérateurs s’appuyant sur la 5G pour remplacer la connexion fixe des domiciles pourront proposer des offres de convergence auprès d’une clientèle qu’ils ne pouvaient pas encore atteindre jusqu’à présent. Les bundles 5G Broadband + Mobile vont aussi permettre d’élaborer de nouvelles promesses marketing autour d’un réseau sans coupures avec une expérience de qualité, en continu. Les opérateurs pourront également y associer la stratégie de contenus décrite précédemment pour mettre en avant les avantages de ce nouveau réseau mobile.
Cependant il faut relativiser la pénétration de cette technologie : même dans les marchés les plus pertinents pour son déploiement, le volume de clients en FWA 5G ne devrait pas dépasser les 10% du total des clients broadband. Pour autant, Ovum estime que ce marché de la 5G fixe devrait représenter $10Mds à horizon 2024.