Point de vue

Le Numérique : Problème ou Solution au défi climatique ?

mer. 09 févr. 2022

Les Services Digitaux ont été mis au banc des accusés parmi les fossoyeurs du climat, et le magazine Alternatives Economiques titrait début 2020  « L’insoutenable croissance du numérique ». L’explosion des usages numériques vient certes contribuer à l’empreinte carbone mais peuvent-il aussi faire partie de la solution ? Comment en étudier rigoureusement l’impact ?

L’empreinte carbone évalue les émissions de gaz à effet de serre (GES) induites par la consommation de la population. A la différence des émissions produites sur le territoire, elle inclut les émissions de GES associées aux biens et services importés, et exclut celles associées aux biens et services exportés.

L’Empreinte Carbone et les émissions « importées »

Quand l’on étudie l’empreinte carbone des Français, celle-ci peut se décomposer de la manière suivante :

  • La production intérieure de biens et services (27%) inclut l’énergie dépensée (le gaz par exemple) pour chauffer des bâtiments industriels, alimenter des équipements électriques (des antennes mobiles) ainsi que l’essence nécessaire pour faire circuler les véhicules professionnels
  • L’importation de matières premières et produits (57%) comprend le carbone dépensé à l’étranger pour l’extraction de minerais importés (d’Australie par exemple) mais aussi le carbone émis par le charbon chinois pour produire sur place des biens de consommations (machinesoutils, smartphones,…) vendus en France
  • La consommation directe d’énergie des ménages (16%) comprend les émissions des habitations (électricité, chauffage) et des transports individuels

Cette empreinte peut être déclinée plus loin par produits consommés. Ainsi on peut définir un périmètre « numérique » qui comprend les services télécoms et informatiques.

L’empreinte carbone du numérique, surtout des émissions importées

Traduite en termes de services Numériques on va comptabiliser dans la production intérieure les  émissions liées à l’alimentation électrique des réseaux des opérateurs télécoms en France (mobile, fibre) ainsi que les services informatiques et télécoms des entreprises  en France (réseaux privés, data centers) – Cela correspond à 10% de l’empreinte. Les émissions importées représentent 80% des émissions. Elles impliquent essentiellement l’ensemble des équipements produits en Asie, auxquels il faudrait ajouter marginalement l’impact des Data Centers situés à l’étranger. Les ménages émettent les 10% restant, en alimentant à la maison les télévisions et les boxes.

L’empreinte carbone totale des français était estimée en 2018 à 749 Millions de Tonnes de CO2, et celle du numérique d’environ 12MTC02 soient 1,7%. L’essentiel de l’empreinte carbone du numérique provient de l’électricité. Cette énergie est utilisée pour alimenter les équipements en France à l’énergie nucléaire mais aussi pour les construire en Chine avec une électricité très carbonée.

L’effet positif du numérique : l’abattement

Les Services numériques font aussi partie de la solution car ils permettent d’éviter des émissions. Le GIEC dans ses projections intègre un effet d « abattement » de différentes initiatives, le numérique y trouve sa part.

La manière dont les effets positifs sur le climat sont calculés se fait à partie d’une série de « use cases ». On examine par exemple comment  « le compteur intelligent » ou « le contrôle à distance de la climatisation » permettent d’économiser l’énergie. Différents organismes ou chercheurs se sont livrés à des exercices à portée mondiale. Elles arrivent à des résultats permettant d’estimer un impact positif du numérique de l’ordre de 4 % à 8%  mais certains vont beaucoup plus loin comme GESI qui annonce 20%.

Les secteurs les plus impactés sont :

  • Les transports (smart Cities) grâce aux économies de consommation de pétrole suite à l’utilisation de  voitures électriques autonomes, à la régulation intelligente du trafic, aux pratiques d’auto partage ;
  • L’énergie avec les solutions d’optimisation de l’utilisation (économies), de production de l’énergie électrique (moins de pertes) et de management des Energies renouvelables (SmartGrid)
  • La diminution des déplacements professionnels grâce au développement des solutions de collaboration
  • L’industrie peut bénéficier de l’automatisation de la logistique des usines connectées réduisant les déplacements d’engins ou rationalisant les processus de recyclage.

On peut se risquer d’appliquer ces solutions à l’empreinte carbone des français en appliquant ces recettes aux trois catégories : production, importations et consommation.

L’empreinte « nette » et la spécificité française

En se basant sur l’analyse très détaillée de la GSMA, Les gains proviendraient essentiellement des transports qui représentent en France une part plus importante des émissions (29%) que la moyenne Européenne (21%). Un quart des gains estimés viendrait de la réduction des déplacements que permettent les solutions de collaboration (visioconférences) et une moitié des solutions de mobilité connectées liées à l’IOT (auto partage, gestion de trafic  …). Le total permettrait d’atteindre 10% de réduction, qui serait appliqué au 125MtCO2 du transport routiers et des 23,4MtCO2 du transport aérien. Cela représente -3% pour les entreprises et -6% pour les ménages.

Les gains sur l’énergie électrique sont peu importants en France du fait de la prédominance de l’énergie nucléaire faiblement carbonée.

L’effet d’abattement sur les émissions importées concerne surtout les processus de fabrication des usines de smartphone chinoises qui consomment essentiellement de l’électricité. Nous avons retenu un taux de -2,4% inspiré de la GSMA, assez éloigné du chiffre de GESI ...10 fois supérieur.

Empreinte Carbone numérique 2018- France

 

Production
 intérieure

Importations

Ménages

Total

Total  MtCOE (2018)

201

425

123

749

Numérique MtCOE (2018)

1,5

9,7

1,4

12,6

Part du numérique (en %)

0,7%

2,3%

1,1%

1,7%

 

Abattement des Services numériques 2018 - France

 

Production
 intérieure

Importations

Ménages

Total

Total  MtCOE (2018)

201

425

123

749

Abattement MtCOE (2018)

-7,0

-10,2

-7,0

-24,2

Abattement (en %)

-3%

-2,4%

-6%

-3,2%

 

Empreinte carbone « nette » 2018 – France

 

Production
 intérieure

Importations

Ménages

Total

Empreinte Numérique

1,5

9,7

1,4

12,6

Abattement

-7,0

- 10,2

- 7,0

- 24,2

Total

-5,5

- 0,5

-    5,6

-11,6

 

Différentes visions

En conclusion, si l’empreinte du numérique commence à être relativement bien connue, ce n’est pas le cas des abattements.

D’autre part, il ne faut pas perdre de vue que les émissions sont toujours localisées. Ainsi une vision purement locale ou une vision purement globale proposent des réalités assez différentes.

Dans un monde d’électricité peu carbonée, l’empreinte du numérique est plus faible et les bénéfices de l’abattement se concentrent surtout sur les transports. Le bilan peut ainsi apparaître localement très positif.

Mais la majorité  des émissions sont importées ; elles dépendent de comment l’Asie maîtrise son mix électrique et utilise le numérique pour optimiser (du point de vue des émissions) ses processus industriels et logistiques. Ce sont ces dernières qui détiennent in-fine la clé de l’empreinte nette carbone du numérique.

Extrait de notre livre blanc : Défis et progrès à l’ère des données et de l’intelligence artificielle

Référence :

  1. L’insoutenable croissance du numérique - Justin Delépine - 15/01/2020 - Alternatives Economiques n°397
  2. Commissariat Général au Développement Durable - Chiffres clés du climat – France, Europe et Monde- 2019
  3. GESI- #SMARTer2030 – ICT Solutions for 21st Century Challenges – 2015
  4. GSMA – The Enablement Effect – 2020
  5. Conseil Général de L’Economie –Réduire la consommation énergétique du numérique -2020

David Erlich

Directeur Conseil