Les gouvernements doivent avoir un véritable leadership pour embarquer l’ensemble des acteurs de la société dans la mise en oeuvre du Programme 2030 : collectivités, entreprises et citoyens.
Les 193 Etats-membres des Nations Unies se sont engagés à mettre en oeuvre l’Agenda 2030, qu’ils ont adopté en septembre 2015 et organisé autour de cinq grands objectifs : lutter contre les inégalités, l’exclusion et mettre fin à l’extrême pauvreté ; faire face aux défis climatiques ; adopter une production et une consommation propre ; tendre vers une bonne gouvernance ; renforcer les partenariats, les financements et la solidarité. A mi-parcours les défis restent nombreux…
Comment les gouvernements intègrent-ils les ODD dans leurs plans stratégiques nationaux ?
Dans les pays en développement, les plans stratégiques intégrant les ODD bénéficient de l’appui des Nations Unies, notamment le PNUD en charge du pilotage des ODD, ou encore de l’OMS, la FAO, le PNUE, l’UNICEF et toutes les autres agences onusiennes qui les accompagnent dans la mise en place des programmes d’action. Chaque nation a sa propre feuille de route à laquelle elle a donné un nom spécifique : « Plan Sénégal Emergent (PSE) », « Stratégie Nationale de Développement Durable (SNDD ») au Maroc, « Growth and Transformation Plan (GTP) » en Ethiopie.
La France s’appuie sur sa feuille de route « Agenda 2030 » piloté par le Commissariat Général au Développement Durable au sein du Ministère de la Transition Ecologique et de la Cohésion des Territoires. L’Espagne a créé, en 2021, un ministère des « Droits Sociaux et de l’Agenda 2030 » qui confère un caractère plus politique et stratégique aux ODD, avec une intégration transversale, une meilleure visibilité et par conséquent un engagement renforcé.
Les 17 ODD se décomposent en 169 cibles concrètes et 232 indicateurs d’évaluation permettant de mesurer les progrès, de se comparer et de s’assurer d’aller ensemble dans la bonne direction. Ces indicateurs sont à la fois une boussole de la durabilité, un cadre, un outil pour la concertation, une méthode pour la conduite du changement et un tableau de pilotage. Chaque collectivité peut s’approprier facilement 80, voire 100 indicateurs. Les pays qui le souhaitent présentent un rapport de leurs avancées à l’ONU de New York dans le cadre de l’annuel Forum Politique de Haut Niveau (FPHN).
Malgré l’existence de ces plans nationaux, de ces indicateurs de progrès et d’un suivi mondial de la mise en oeuvre des ODD, le constat global est alarmant : probablement 80% des ODD ne seront pas atteints en 2030 ! L’index SDG et le Rapport mondial sur le Développement Durable 2023 du SDSN et Bertelsmann Stifung, indiquent que tous les pays de l’hémisphère Nord sont dans le rouge sur les questions environnementales et que la grande majorité des pays du monde sont dans le rouge sur les questions en lien avec l’extrême pauvreté et la lutte contre la faim. Face au péril, Antonio Guterres, le secrétaire général de l’ONU, a appelé un large éventail de groupes de la société civile à se mobiliser pour « sauver les ODD » en septembre 2023.
Quel est le classement des Etats dans l’atteinte des 17 ODD ?
Les pays du nord de l’Europe sont en tête du classement SDG : Finlande, Suède, Danemark, Allemagne, Autriche. Dans certains pays, les décideurs allouent des budgets aux ODD et engagent les collectivités dans leur mise en oeuvre. Par conséquent près de 80% de la population connait les ODD alors que 90% des Français les méconnaissent. La France, pourtant à l’initiative des Accords de Paris adoptés quelques mois avant les ODD, ne porte pas encore suffisamment les objectifs de l’Agenda 2030. Le pays est néanmoins passé de la 8è à la 6è position grâce à sa politique sociale et solidaire, sa politique d’égalité hommes-femmes ainsi que l’énergie et l’innovation. La France a aussi adopté France Nation Verte, le Plan de « planification écologique » en réponse à la série de catastrophes climatiques de l’été 2022, le Contrat pour la Réussite de la Transition Ecologique ou encore France 2030.
Notons néanmoins que l’approche est plus orientée sur les aspects techniques de l’écologie, que sur un projet de société et une approche globale du développement durable permettant d’agir en même temps sur l’ensemble des aspects. Nous devons concilier fin du mois et fin du monde, et surtout renforcer la volonté d’agir et d’innover ! Les 10 pays les moins vertueux, classés de la 157è à la 166è position dans le SDG Index, sont également cités avec un fort taux de « corruption perçue » dans le classement de Transparency International : Libéria, Afghanistan, République Démocratique du Congo, Soudan, Niger, Somalie, Yémen, Tchad, République Centre Africaine et Soudan du Sud. Cela prouve encore une fois que la bonne gouvernance et le développement démocratique (ODD 16) sont les leviers majeurs pour le développement et le bien-être pour tous.
Que retenez-vous de ce classement ?
Le SDG Index permet de distinguer des pays assez exemplaires. En Asie : la Corée du Sud (31è), le Vietnam (55è), le Bhoutan (61è) ou encore Singapour (64è). En Afrique : la Tunisie (58è), le Maroc (70è), longtemps champion des énergies renouvelables, où le Roi Mohammed VI lutte avec détermination contre la corruption et pense à la façon d’intégrer l’humain dans tous les projets, y compris lors de la construction d’infrastructures que le Royaume bâtit.
Le SDG Index permet également d’apprécier l’écart entre les fortes ambitions affichées par certains pays africains pour dorer leur image à l’international et la réalité dans la mise en oeuvre des ODD. La Côte d’Ivoire, reconnue pour ses programmes sur le leadership des femmes, la résilience (Abidjan Legacy), l’économie numérique et les partenariats, n’est que 120è et le Niger 146è (seulement 6 % du budget est dédié à la santé contre 18 % pour la sécurité). Le continent africain, qui regorge de richesses au niveau des compétences et des ressources, souffre souvent d’une force d’inertie et d’un manque de coopération entre les acteurs qui empêchent l’aboutissement de projets ambitieux.
En dépit de leur mauvais classement certains pays agissent fortement en faveur des ODD : l’Afrique du Sud (110é) en avance économiquement, le Botswana (118è) exemplaire sur la gestion des ressources et l’accès aux soins, avec moins de corruption. Le Rwanda (126è) a développé la téléconsultation pendant le Covid et promeut une politique intégrée dans les domaines de la santé, de l’éducation, de l’égalité. Le Bénin (140è) a travaillé sur l’autonomisation des femmes, l’intégration des jeunes et des talents, l’administration numérique et un programme de ville numérique. L’Ethiopie (144è) enregistre des avancées dans le domaine de l’agriculture durable et des énergies renouvelables.
Alliance Internationale - Objectifs de Développement Durable en bref
L’Alliance Internationale pour les Objectifs de Développement Durable est une ONG basée en France et ancrée dans 23 autres pays (Inde, Oman, Thaïlande, pays d’Afrique). Depuis 2015, elle fédère un réseau de citoyens engagés pour la promotion de l’Agenda 2030 et antérieurement mobilisés, depuis 2006, sur les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD). Travaillant sur les 17 ODD avec des institutions, des collectivités locales, des entreprises et des citoyens, AI-ODD a organisé plus de 1 400 actions dans le monde, dont 7 colloques à l’ONU et 1 à l’Assemblée nationale en France. Elle a créé 8 Villages du Millénaire et mis en place de nouvelles méthodes pour des Villes et Entreprises Durables. Jouant un rôle de « facilitateur », elle agit à la fois sur le terrain et auprès des institutions, avec l’ambition de renforcer l’engagement et le pouvoir d’action de l’ensemble des acteurs.
Comment les gouvernements prennent-ils en compte l’inclusion et le développement durable ?
Pendant la crise du Covid, le numérique a permis de faire fonctionner les écoles dans les zones les plus reculées et créé de nouveaux modes de fonctionnement révolutionnaires. La visioconférence met sur un pied d’égalité des citoyens à qui elle donne la possibilité de s’exprimer dans des colloques internationaux alors qu’ils ne peuvent pas sortir de leur pays, faute de visa. Des solutions de mobile money, comme Orange Money, changent la vie de personnes non bancarisées. La connexion permet d’interagir à tous les niveaux. Par exemple, un simple téléphone a permis à Moussa, qui vivait dans l’extrême pauvreté, de solliciter notre association à de nombreuses reprises, pour que nous financions sa scolarité ! La téléconsultation apporte un progrès considérable.
La technologie facilite la prise de décision pour diminuer son empreinte carbone. J’ai apprécié, à New-York, les bornes permettant aux passants d’alerter les services sociaux lorsqu’ils repèrent un sans abri dans la rue. Au Mali, la numérisation des services administratifs évite aux citoyens de longs et coûteux déplacements. Le programme Sénégal numérique 2025, soutenu par le PNUD, devrait créer 140 000 emplois directs et indirects et permettre au numérique de contribuer à 10% du PIB du pays.
Quels sont les vrais défis des Etats ?
Les Etats et collectivités ne prennent pas suffisamment en compte le fait que chaque cible des 0DD est un indicateur de progrès qui représente un axe d’amélioration. Ensuite, il faut un véritable changement de paradigme. Les Etats et les collectivités ont trop souvent une approche en silo. Ils n’appréhendent pas les ODD dans leur globalité de façon systémique et pluridisciplinaire. L’approche holistique qui fait converger les questions sociales,
environnementales et économiques est fondamentale. Depuis 2015, beaucoup d’efforts ont été faits dans les domaines de l’éducation, la santé et même l’égalité. Mais la lutte contre la pauvreté et la lutte contre la faim restent des enjeux persistants. Elles doivent être une grande priorité nationale. Elles impliquent un changement de regard sur les gens pauvres qui ne sont pas considérés avec la dignité et le respect qui leur sont dus.
La question des financements reste prégnante, malgré le Fonds vert ou autres dispositifs. Les ODD ne sont pas encore une priorité des bailleurs de fonds. En dépit des effets d’annonce, les financements sont insuffisants pour engager les élus et soutenir les associations.
En outre, les financements sont souvent mal utilisés, ou pas optimisés. Je suis indignée qu’autant d’argent soit investi pour l’image, lors de conférences nationales et internationales coûteuses, au détriment des populations alors que la technologie permet d’échanger à distance à moindre coût.
En Afrique, pour des raisons culturelles, beaucoup de projets excellents n’aboutissent jamais. Il ne faut donc pas « construire » l’Afrique mais la reconstruire sans cesse. La prise en compte de l’éthique est indispensable dans toutes les politiques publiques. Une politique de numérique responsable impliquera aussi plus de coopération au niveau des Etats, notamment dans des régions comme le fameux Nord Kivu, théâtre de tous les conflits, et grenier
du monde pour le coltan.
Les gouvernements doivent avoir un véritable leadership pour embarquer l’ensemble des acteurs de la société : collectivités, entreprises et citoyens. Les réelles avancées de ces deux dernières années ont été motivées par les catastrophes écologiques liées au dérèglement climatique. Si les décideurs d’aujourd’hui ne s’engagent pas, les élus en responsabilité demain devront agir « en pompiers ». Notre responsabilité collective est de prendre conscience de l’enjeu et de se donner les moyens d’agir de manière coopérative. Penser aux opportunités de développement économique ne doit pas nous empêcher de penser à la survie de l’humanité. A nous de trouver le bon équilibre.