Le secteur des télécommunications a toujours été consommateur d’énergie. Un réseau de télécommunications mobiles compte en général plusieurs milliers de sites, qui ont besoin chacun d’une alimentation électrique conséquente, induite par leur complexité technique et le nombre important d’équipements installés sur chaque site.Les opérateurs sont confrontés alors à un enjeu de taille : contrôler leur facture énergétique tout en faisant face au développement rapide des technologies ainsi qu’à l’augmentation exponentielle du trafic mobile.
Une consommation électrique croissante
La station de transmission de chaque site est constituée de plusieurs équipements qui permettent de générer, diffuser, et recevoir le signal électromagnétique, porteur des appels et des données qui sont émis et reçus par les utilisateurs. Ces équipements assurent aussi l’interconnexion entre les différentes stations permettant ainsi l’établissement de la connectivité entre les utilisateurs situés dans des zones géographiques différentes.
L’ensemble de ces équipements présents sur chaque site est consommateur d’énergie, et ramené à l’échelle d’un réseau constitué de plusieurs milliers de sites (en France par exemple, les opérateurs ont besoin de déployer entre 15000 et 30000 stations pour assurer la couverture et le service souhaités), cette consommation devient très conséquente. Une variation minime de 10 watt au niveau d’une station peut vite avoir un impact très important sur la consommation énergétique et les Opex énergie d’un opérateur.
Pour illustrer, 10 watt de consommation supplémentaire par station, et avec 25000 stations, va provoquer une consommation supplémentaire annuelle d’environ 2GWh à l’échelle du réseau. Pour se donner une idée, cela correspond à la production du parc solaire de Caillavet1 uniquement en ajoutant la consommation d’une ampoule LED par site.
Le développement rapide des technologies des télécommunications, et l’augmentation exponentielle du trafic mobile, ont exacerbé le problème de la consommation des réseaux mobiles. Les stations qui étaient limitées à la technologie de la 2G il y a 20 ans, assurent aujourd’hui un service 2G, 3G, et 4G en même temps, sans oublier la 5G dont le déploiement s’accélère en ce moment.
L’amélioration très importante de l’efficacité énergétique au niveau des composants électroniques des équipements, et l’amélioration de l’efficacité énergétique des réseaux avec chaque nouvelle génération, n’ont pas suffi pour bien maîtriser la consommation croissante des réseaux télécom. Cette réalité a guidé le développement de la dernière génération - la 5G - tout au long de la phase de sa conception, pour aller dans une direction très consciente de l’efficacité énergétique, en introduisant des mesures normalisées par le 3GPP qui visent à réduire la consommation des réseaux 5G. [3GPP TR 21.866: Study on Energy Efficiency Aspects of 3GPP Standards (Release 15)]
L’apparition des « Energy Saving Features »
Face à cet accroissement de la consommation énergétique des réseaux mobiles, les opérateurs et les constructeurs d’équipements de réseaux mobiles se sont mobilisés pour développer de nouvelles technologies dédiées à la maîtrise et la réduction de la consommation de ces réseaux.
Ces technologies ou fonctionnalités qu’on appelle communément « Energy Saving Features » (ESF), sont des logiciels qui s’installent sur les équipements du réseau, et cela pour toutes les technologies, 2G, 3G, 4G et 5G. Les spécificités de l’architecture technique de chaque technologie ont été étudiées afin d’identifier des opportunités de réduction de la consommation d’énergie en ayant un impact minimal ou acceptable sur la qualité de service.
Elles constituent un levier fort dans l’effort qu’un opérateur peut mener pour maîtriser ses OPEX énergie sur le réseau mobile, et reposent sur un principe simple qui vise à rendre les réseaux plus intelligents et plus dynamiques dans leur consommation énergétique, en passant d’un réseau constamment en capacité totale et en consommation maximale à un réseau qui adapte sa performance et sa capacité suivant la demande de ses utilisateurs et le trafic ; tout en maintenant un niveau de qualité de service acceptable.
Figure 1: Evolution de la consommation des réseaux mobiles (Source: Ericsson)
Les « Energy Saving features » de première génération
Les « Energy Saving features » opèrent sur plusieurs niveaux, allant de l’exécution de micro coupures sur la transmission pendant quelques microsecondes, à la coupure de circuits et de branches de transmission/réceptions ou de fréquences pendant plusieurs heures.
Le niveau qui permet de couper les branches de transmissions ou des bandes de fréquences entièrement, offre le meilleur gain au niveau de la consommation énergétique. En revanche, il est le plus impactant sur la qualité de service et la qualité de l’expérience client sur le réseau. Les opérateurs se sont retrouvés rapidement face à une équation délicate d’arbitrage entre la réduction de la consommation énergétique et le maintien d’un service de haute qualité sans dégradations sur le réseau.
Afin de répondre aux contraintes de la qualité de service, la première génération des « Energy Saving Features » s’est reposée sur des éléments définis manuellement par l’opérateur suivant la réalité et la variabilité du trafic sur les réseaux.
Le trafic varie en continue sur chaque cellule, et il n’a jamais exactement le même profil sur 2 cellules différentes. Mais la plus grande variabilité que tous les opérateurs constatent sur leurs réseaux est celle entre le trafic de jour et le trafic de nuit.
La baisse de l’activité pendant la nuit est considérable, et pérenne, arrivant toutes les nuits. Les sites dimensionnés pour absorber une charge importante de trafic pendant la journée, deviennent en état de surdimensionnement pendant la nuit avec la baisse drastique au niveau du trafic.
Figure 2: représentation simplifiée de la variation du trafic mobile en 24 heures
La première génération des « Energy Saving Features » exploite cette réalité en arrêtant pendant la nuit la capacité très faiblement utilisée, via des extinctions de fréquences. Cet arrêt permet de générer des réductions au niveau de la consommation énergétique sans beaucoup impacter le service fourni par le réseau. Le système permet toutefois de réveiller des ressources arrêtées s’il constate un afflux important de trafic pendant la nuit, ingérable par les ressources réduites.
Par contre, ce système ne répond pas aux exigences d’une activation des ESF pendant la journée. Les fluctuations rapides du trafic sur les cellules pendant la journée et la charge considérable relativement à la faible charge pendant la nuit lui constituent un défi insurmontable. La différence importante, entre les cellules, qui impose des actions spécifiquement adaptées pour chaque cellule du réseau, et la réactivité instantanée en quelques dizaines de secondes nécessaire pour répondre à la demande de capacité et éviter d’impacter sévèrement la qualité de service, rendent le système de la première génération des ESF inadéquat et impossible à exploiter à l’échelle du réseau pendant la journée.
L’Intelligence Artificielle comme solution pour vaincre les contraintes
C’est à ce niveau que l’intelligence artificielle vient jouer un rôle important, qui est de créer un système autonome, réactif, et capable de mener automatiquement des actions adaptées pour chaque cellule, dans un réseau qui peut compter des centaines de milliers de cellules. Elle rend possible la gestion des exigences d’une activité ESF pendant la journée, à l’échelle du réseau.
Au lieu de se limiter à une programmation manuelle et statique pour l’activité des ESF pendant la nuit (souvent entre minuit et 6h00), l’intelligence artificielle permet avec les algorithmes intelligents une activation des ESF adaptée à chaque cellule et automatisée en H24.
Cette intelligence examine automatiquement, et d’une manière continue, le trafic pour chaque cellule afin d’établir statistiquement, un profil pour ce trafic, et de détecter ses comportements répétitifs. Cela permet par la suite au système de prévoir l’évolution du trafic dans le futur.
Armé de cette prévision, le système est capable d’identifier au préalable et avec une très forte probabilité, les futures périodes de baisse de trafic pendant la journée comme pendant la nuit pour chaque cellule sur le réseau et cela pour chaque jour de la semaine.
Il peut par la suite ouvrir la possibilité aux ESF d’opérer pendant la journée durant les périodes de baisse de trafic de chaque cellule; ce qui permet de minimiser l’impact sur la qualité de service. En dehors de ces périodes, le système bloque l’opération des ESF permettant ainsi aux utilisateurs de profiter pleinement de la capacité maximale installée sur les sites.
Avec l’intelligence artificielle, les ESF entrent dans une nouvelle ère où on s’affranchit de la limitation de l’activité à la période de la nuit, à travers d’un système capable de s’activer pendant la journée aussi, tout en maîtrisant l’impact sur la qualité de service.
L’activation pendant la journée permet d’apporter des réductions supplémentaires au niveau de la consommation énergétique et d’améliorer davantage l’efficacité énergétique des réseaux mobiles, avec une gestion à l’échelle du réseau de l’activité des ESF qui est intelligente, autonome, et différenciée jusqu’au niveau de la cellule. Grâce à l’IA, les réseaux deviennent plus intelligents, et plus dynamiques dans l’allocation et l’activation de leur capacité, optimisant ainsi leur consommation en s’adaptant au trafic qu’ils doivent servir.
Et au-delà des Energy Saving Features
Au-delà des ESF et leurs solutions d’extinction et de veille, l’IA ouvre la porte à une meilleure gestion du réseau pour réduire la consommation électrique et les interférences, et mieux planifier son évolution et son expansion capacitaire. Elle ouvre la porte aussi à une meilleure gestion des opérations de maintenance ce qui permet de réduire les pannes au niveau du réseau et les déplacements nécessaires sur les sites. Cette meilleure gestion du réseau permet globalement de réduire sa consommation énergétique directe sur ses équipements, et indirecte sur les activités nécessaires pour l’opérer.