Les évolutions liées à la virtualisation des réseaux sont conséquentes. Elles bouleversent déjà les organisations et les modes de travail de façon pérenne.
Aurélie TOBOLA
En transformant une infrastructure basée sur des machines en un fonctionnement applicatif hébergé dans des datacenter, la virtualisation des réseaux pourrait bouleverser les besoins en effectifs et en compétences. En 2016 déjà, le comité exécutif d’AT&T estimait que l’entreprise pourrait, du fait de la virtualisation, « s’accommoder d’un tiers d’effectif en moins ».
Au-delà de l’effet d’annonce, il est intéressant de se demander quels pourraient être les impacts RH de la virtualisation des réseaux.
Un trio indispensable: virtualisation, automatisation, digitalisation
Il faut en préambule préciser que la virtualisation des réseaux ne peut pas fonctionner en autarcie. Elle a vocation à exister en triangulation avec l’automatisation et la digitalisation de la relation client.
La première permettra d’éviter les interventions humaines et/ou manuelles qui risqueraient d’interrompre un processus. Quant à la seconde, elle contribuera, en combinaison avec la virtualisation, à remplir la promesse faite aux clients :
- diversification de l’offre marketing,
- personnalisation,
- facturation au niveau d’usage,
- service en temps réel,
- gestion des services réseaux via des interfaces digitales,
- etc.
Cet ensemble s’appuiera principalement sur des technologies telles que le Cloud, le SDN (Software-defined network), le NFV (Network Function Virtualization), les API, le Big Data et les Data Analytics, et l’Open Source.
Les impacts de la virtualisation sur les effectifs
Conception et exploitation: mêmes impacts?
L’impact en termes de ressources sera différent selon que l’on parle de conception ou d’exploitation. Les grandes tendances incluent :
- sur la conception, la transformation de l’architecte réseau traditionnel vers un architecte de solutions de bout en bout incluant les compétences réseaux et IT.
- sur l’exploitation, à terme, la réduction des besoins en administrateurs réseaux, car les problèmes deviendront soit plutôt simples à gérer (auquel cas les techniciens réseaux pourront s’en charger), soit très complexes (auquel cas des ingénieurs réseaux seront nécessaires). Aujourd’hui, le temps gagné grâce à l’automatisation est perdu dans la résolution de problèmes complexes que l’on ne rencontrait pas auparavant.
Les métiers gagnants…et les perdants
De manière générale, les effectifs des métiers du réseau pourront être amenés à se transformer ou à diminuer. En effet sur certains points, la virtualisation va amener la simplification des tâches, qui pourront être réalisées par une seule personne, là où auparavant plusieurs étaient nécessaires.
En revanche, les intégrateurs et les techniciens pourraient tirer leur épingle du jeu: les premiers parce que leur rôle dans les data centers seront cruciaux; et les seconds parce que l’importance accrue de l’expérience client devrait pousser au maintien, a minima, des effectifs. On voit d’ores et déjà le rôle des intégrateurs prendre de l’ampleur dans les évolutions d’organisation (par exemple la création récente chez Orange d’un « on-demand integration center » pour accompagner les projets de virtualisation).
Quelles conséquences sur les compétences nécessaires?
Pas de nouveaux métiers mais un enrichissement des compétences des métiers existants
Les compétences, elles aussi, évolueront inévitablement, si l’on veut tirer tout le parti de la virtualisation.
Certains s’interrogent sur la possible émergence d’ingénieurs SDN. Matthew P. Davy, directeur du InCNTRE et directeur des architectures réseaux de l’université de l’Indiana, estime que c’est peu probable.
En revanche, il écrit aussi que « de moins en moins d’ingénieurs réseaux pourront se dispenser de connaissances fondamentales sur les serveurs, le stockage, les hyperviseurs, l’administration système et les langages de script ». Des fondamentaux SI seront donc bientôt indispensables aux experts réseaux, au-delà des compétences spécifiques SDN, pour lesquelles des certifications seront disponibles sous peu.
Ce transfert de compétences et cette collaboration accrus se manifestent d’ores et déjà dans l’apparition d’équipes de développement logiciel au sein de directions de l’ingénierie réseau.
Les compétences nécessaires aux métiers de la conception
Seront à l’ordre du jour pour les métiers de la conception et de l’implémentation réseau :
- une vision abstraite du réseau sous forme de modèle de données,
- une collaboration NetOps avec l’ingénierie logicielle,
- un approvisionnement des infrastructures Cloud,
- la mise en œuvre des outils de gestion du réseau pour automatiser les activités,
- ainsi que l’analyse des données (télémétrie).
L’IT sera également concerné. La vision abstraite du réseau sera aussi de mise, mais on y ajoutera :
- une approche API,
- la mise en œuvre de composants OpenSource,
- DevOps et NetOps,
- et une coopération agile avec le marketing. Les équipes « infrastructure » font en effet de plus en plus appel à des product owners pour chacune des fonctionnalités réseau virtuelles et chacun des composants logiciels.
Les compétences nécessaires aux métiers de l’exploitation
Les évolutions seront différentes côté exploitation.
Les experts réseaux concernés devront :
- posséder des compétences en gestion de systèmes plus complexes,
- interagir avec l’ingénierie logicielle,
- superviser des infrastructures Cloud,
- mettre en œuvre des logiciels d’analyse et d’apprentissage.
Les métiers du SI monteront, eux, en compétences sur :
- l’analyse d’incidents,
- le suivi de tendances fondé sur la télémétrie,
- et sur la gestion des infrastructures en Cloud.
Un nouveau rôle de conseil sur les services à proposer et les paramétrages à mettre en œuvre pourra également leur être dévolu.
Quelles compétences pour les fonctions supports?
L’aspect technologique ne doit pas faire oublier que les fonctions non techniques, telles que le marketing, seront elles aussi amenées à évoluer, justement parce que la virtualisation est associée à la digitalisation de la relation client.
Les fonctions support, marketing et ventes auront besoin, plus encore qu’aujourd’hui, d’avoir une compréhension et une vision bout en bout des solutions. il leur faudra aussi être capables de vendre des solutions multi-technologiques, et virtualisées.
Pour toujours mieux répondre aux attentes des clients, le Marketing devra opérer un rapprochement avec l’architecture réseau (dû à la complexité et la fréquence des mises à jour), et développer une sensibilité aux API.
Les évolutions liées à la virtualisation des réseaux sont conséquentes. Elles bouleversent déjà les organisations et les modes de travail de façon pérenne. Les études montrent que la place de l’agilité et de la collaboration transverse entre les métiers va être renforcée. Malgré tout, Brent Salisbury, lead ingénieur réseaux à l’université du Kentucky, se montre rassurant pour les experts réseaux : « le SDN est un processus évolutif – les ingénieurs réseaux vont continuer à exister. Même dans un data center, il y a des composants physiques. Il est faux de penser que dans dix ans, on leur demandera d’être développeurs [même si] maîtriser un peu de programmation et savoir intégrer des API sera fondamental ».
Effectivement, pour l’heure, on constate davantage une montée en compétences des ingénieurs et architectes réseaux sur les compétences IT qu’un véritable transfert de périmètre ou de responsabilités. La collaboration accrue, déjà manifeste dans les transformations d’organisation, rend également la frontière entre les deux métiers moins flagrante. C’est une transformation des métiers, des compétences mais aussi de la culture et des modes de travail qui se prépare, avec une phase de transition qui va durer plusieurs années.
Remerciements: article rédigé avec la contribution de Mohammad Diab, Chef de Projet Senior ITN
Pour en savoir plus :
https://searchnetworking.techtarget.com/feature/SDN-jobs-Skills-network-engineers-should-focus-on